Macron tout à son obsession d’occuper le terrain pour conjurer sa peur du vide a saisi l’occasion du 65ème anniversaire de la Constitution adoptée le 4 octobre 1958, fondements de la V° République voulue par De Gaulle, pour ressortir des tiroirs ses velléités de réforme constitutionnelle. Sans doute y voit-il une façon d’améliorer son image en jouant au démocrate. Pas trop cependant, cette constitution instaurant un régime présidentiel lui convient parfaitement, garante de « stabilité » et, pour lui, d’espérer aller au bout de son quinquennat… Taillée sur mesure, à l’époque pour assurer le pouvoir personnel de De Gaulle, cette constitution a depuis parfaitement servi ladite République et les ambitions de ceux qui ont revêtu l’habit présidentiel.
La Vème République est un régime où le chef de l’exécutif est le premier législateur, au mépris de la séparation des pouvoirs. Où l’Assemblée nationale est réduite à une chambre d’enregistrement. Où l’article 16 donne les pleins pouvoirs au président et l’article 49.3 permet d’adopter, sans majorité parlementaire, envers et contre tous, des textes de lois comme la réforme des retraites. Pour Macron, le 49.3 est le symbole de l’équilibre que garantit la Constitution : « C’est un régime à la fois présidentiel et parlementaire, capable de pencher nettement pour le premier en temps de crise et nettement pour le second par temps calme. » Et comme lui, c’est plutôt temps de crise, vive le régime présidentiel !
Ses ambitions réformatrices sont modestes. Avec un certain cynisme provocateur il a annoncé qu’il souhaite « simplifier » la procédure du Référendum d’initiative partagée (RIP), cette procédure à laquelle il s’était opposé durant le mouvement contre sa réforme des retraites. « Ses champs doivent être élargis », dixit Macron, à « des domaines importants pour la vie de la nation qui échappent au champ de l’article 11 », article qui limite son utilisation aux « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation » et à la ratification de traités internationaux. Et, justement, un référendum sur l’immigration est réclamé par Les Républicains et le RN, alors pourquoi ne pas faire un geste susceptible d’entraîner la droite et l’extrême-droite. Une petite manœuvre fort peu démocratique sur le fond comme sur la forme d’autant que la pratique du référendum est un procédé plébiscitaire dont De Gaulle avait usé à quatre reprises afin de légitimer son pouvoir personnel. Macron n’est pas De Gaulle et limite ses velléités réformatrices à de petites combines à courte vue.
Et pour se donner une image moderne si ce n’est progressiste il propose l’introduction « dès que possible » du droit à l’IVG dans la Constitution qui ne fait toujours pas accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Une mesure qui ne coûte pas un centime à l’État et ne sécurise en rien l’accès réel à l’IVG qui nécessite des moyens, des services et des soignants formés sans cesse rognés par la politique d’austérité.
Des velléités démocratiques ou plutôt des faux semblants au moment où Elisabeth Borne a recours pour la 12ème fois au 49.3, six mois après celui sur la réforme des retraites, pour imposer le texte de programmation des finances publiques. Le premier recours d’une longue liste attendue à l’Assemblée cet automne pour faire adopter les textes budgétaires pour 2024...
Derrière le paravent institutionnel, la dictature du capital
Le caractère antidémocratique de la Constitution gaulliste et de son usage par Macron, cet absolutisme présidentiel, vient justifier la politique d’une partie de la gauche, celle dite radicale, LFI en tête, qui se revendique d’une VIème République pour chasser Macron et en finir avec la Vème. Le programme peut sonner radical, en réalité, il ne propose rien d’autre qu’un replâtrage institutionnel impuissant à changer les fondements économiques et sociaux de la nature antidémocratique de n’importe quelle constitution bourgeoise.
La constitution n’est que la forme institutionnelle du pouvoir du capital qui repose sur le rapport d’exploitation, la propriété privée et l’État. Elle obéit à ses besoins en fonction de l’époque et des rapports de force.
Les institutions ne peuvent échapper au pouvoir du capital qui détient le cordon des finances. Quelle démocratie peut-il exister quand les finances publiques sont entre les mains des banquiers et quand la dette de l’État, aujourd’hui 3 000 milliards d’euros, est détenue par des capitalistes privés auxquels l’État verse une rente, le service des intérêts auxquels il ne peut faire face que grâce à des emprunts nouveaux...
Et c’est pour financer cette rente à laquelle s’ajoutent les multiples interventions de l’État au service du grand patronat que les gouvernements aggravent sans cesse, l’austérité contre la population. Le Projet de Loi de Finances pour le budget 2024 de Bruno Le Maire en est la démonstration avec 16 milliards d’économies. L’objectif de l’exécutif est de diminuer le déficit public, qui correspond en 2023 à 4,9 % du Produit Intérieur Brut, pour le porter à 4,4 % en 2024. Une réduction qui sera avant tout payée par les travailleurs et les classes populaires.
L’État va gagner 15 milliards d’euros par rapport à 2023 grâce à la clôture progressive des boucliers d’énergie, le tout alors que les prix de l’énergie pourraient encore augmenter de 10 à 20 % en février 2024 alors que l’inflation délite progressivement le pouvoir d’achat et que l’augmentation des prix entraîne une hausse des recettes pour l’État, via la TVA.
A ces économies, il faut ajouter celles de la Sécurité Sociale. Alors que l’État aurait dû couvrir la hausse induite par l’inflation des dépenses de l’assurance-maladie, ces dernières vont être amputées de 3,5 milliards d’euros alors que les exonérations de cotisations patronales atteignent les 90 milliards.
Et tout ça n’empêche pas Total de menacer d’arrêter sa ristourne à 1,99 €/litre max si les députés adoptent la prolongation de la taxe sur les « superprofits » des pétroliers et énergéticiens mise en place l’an dernier.
Toute la machine étatique est rodée pour fonctionner en faveur des classes dominantes, les institutions et la prétendue démocratie servent à donner à cette politique de classe le masque de l’intérêt général, une imposture générale. Et, aujourd’hui, la constitution gaulliste semble plutôt adaptée aux besoins de la bourgeoise qui se prépare bien plus à affronter le peuple qu’à lui donner la parole !
Les capitalistes n’ont pas d’autre réponse à leur faillite que la guerre de classe
Pour les classes dominantes et leurs serviteurs, la difficulté est qu’avec la crise, il est de plus en plus difficile de masquer le caractère de classe, injuste, inégalitaire, spoliateur de leur politique, la guerre de classe qu’ils mènent en permanence. C’est bien pourquoi leurs économies ne s’appliquent pas au cœur même de l’appareil d’État, l’armée et la police, bien au contraire.
Dans le projet de loi de finances, les budgets de l’armée, de la police devraient en effet être augmentés de 4 milliards d’euros, auxquels s’ajouteront les programmations déjà votées, comme la loi de Programmation militaire et ses 413 milliards d’euros d’augmentation sur la période 2024-2030 portant son budget annuel à plus de 68 milliards d’euros en 2030. Cela sans compter les dépenses liées au soutien militaire à l’Ukraine, ainsi que le budget du Service National Universel.
Ce projet s’inscrit dans la militarisation en cours à travers le monde dont la guerre d’Ukraine n’est pas la cause première mais à la fois effet et cause car elle s’inscrit elle-même dans l’exacerbation des tensions internationales sous la pression de la concurrence et de la crise capitaliste.
A noter que la LPM a été l’occasion de « rénover » le régime des réquisitions du code de la Défense à travers l’article 23 qui « permet au Premier ministre, par décret, d’ordonner la réquisition de toute personne, physique ou morale, de tout bien ou de tout service ou d’habiliter l’autorité administrative ou militaire qu’il désigne à procéder aux réquisitions ». Ces réquisitions seraient justifiées « en cas d’urgence, lorsque la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie ».
Cet article 23 vient souligner que le militarisme implique que l’État se donne les moyens matériels bien sûr mais aussi politiques pour faire face à un « conflit de haute intensité », c’est à dire la guerre. La montée du nationalisme et des politiques xénophobes, la guerre aux migrants, l’embrigadement de la jeunesse avec le SNU s’inscrivent dans cette logique militariste qui ne pourra que se renforcer. La propagande autour de la solidarité avec l’Ukraine ou, aujourd’hui, avec l’État d’Israël, gommant les responsabilités des puissances occidentales en est un des supports de la même façon que l’insécurité ou l’immigration viennent justifier, aux yeux du pouvoir, le renforcement général de l’appareil répressif nécessaire pour mener la guerre intérieure contre les probables révoltes et insoumissions à venir.
C’est le sens de la politique sécuritaire du pouvoir et de la campagne publicitaire pour la gendarmerie de Macron vis à vis des milieux ruraux annonçant, depuis le Lot-et-Garonne, la création de 238 nouvelles brigades de gendarmerie, dont 96 brigades fixes. Ces nouvelles implantations font suite à la création de 10 000 postes dans les forces de sécurité entre 2017 et 2022. Pour le second quinquennat d’Emmanuel Macron, la loi prévoit la création de 8 500 postes supplémentaires.
Macron-Darmanin justifient leur politique sécuritaire et policière par « l’évolution de la délinquance », l’insécurité qui atteindrait même nos campagnes. Ils jouent des peurs et les entretiennent pour leurs besoins politiques ainsi qu’ils le font aussi en agitant la menace que représenterait le drame des migrants. Autant de mensonges abjects justifiant une politique qui n’a pas d’autre réponse que policière aux drames qu’elle engendre.
L’insécurité, c’est l’insécurité sociale engendrée par la régression capitaliste
En vertu de quoi, ils ont fait voter l’an passé 15 milliards d’euros de crédits supplémentaires pour les forces de répression, soutenus par la droite, l’extrême droite et une partie de la gauche. En fait l’insécurité, dans les petites villes comme dans les grandes, est le produit de la dégradation des conditions de vie de la population dont l’État est responsable. L’insécurité, c’est le manque de services publics, la fermeture des maternités, des postes, des classes, le manque de logements populaires, l’augmentation des prix. En la matière, Macron a continué la politique d’économies de ses prédécesseurs aux dépens des classes populaires. Quant aux incivilités, aux violences dans les rues ou dans les familles, aux trafics, voire aux crimes, elles sont aussi le produit du délitement social et plus de police ne résoudra rien.
Macron prétend, par cette politique sécuritaire qui ne fait qu’accroître les tensions sans résoudre le moindre problème, empêcher les électeurs de « se tourner vers les extrêmes ». Le mal est ainsi désigné pour justifier de mener la politique de... l’extrême droite. Il y a là bien sûr un calcul politicien qui offre un argument de campagne aux futurs candidats macronistes des villages pourvus d’un poste de gendarmerie. Tout cela est dérisoire et ne saurait masquer le fond, Macron ne court pas après l’extrême droite, il fait sa politique parce qu’elle répond, sur le fond, aux besoins de la bourgeoisie qui se prépare à affronter le monde du travail, la population, pour faire prévaloir ses intérêts de classe rétrogrades tant sur la scène internationale que nationale, les deux étant indissociables.
Ce qu’il y a dans le cerveau malade des politiciens ce n’est pas la délinquance ou les incivilités mais bien la peur des classes populaires, de leur colère, de leur révolte que suscite l’insécurité sociale que crée leur politique soumise au CAC 40. Ils savent qu’ils n’ont pas de politique de rechange si ce n’est de poursuivre celle mise en œuvre par la Banque centrale européenne (BCE) et le gouvernement qui conduit à la catastrophe, à la faillite.
Le 13 et au quotidien, sur nos lieux de travail, faire vivre notre démocratie et la solidarité de classe
La démocratie dont se vante Macron ou que voudrait restaurer la gauche est étouffée, bâillonnée pour les classes populaires et la majorité de la population, pour le monde du travail par la domination d’une minorité qui tient les rênes de l’économie. Ce n’est même plus une démocratie pour les riches, eux-mêmes soumis aux décisions des conseils d’administration des multinationales, des banques et des groupes financiers. Leur démocratie, c’est une machine qui fonctionne pour masquer la politique du pouvoir au service de cette minorité capitaliste. Plus son parasitisme s’accentue par la concentration du capital plus ladite démocratie se vide de tout contenu pour se laisser coloniser par les idées, les pratiques et les partis d’extrême droite.
L’issue est entre les mains du monde du travail, de la population exploitée et opprimée, de la jeunesse qui veut construire son avenir.
Le 13 octobre, l’intersyndicale appelle à une journée de mobilisation pour « nos salaires, nos retraites, nos droits, pour l’égalité, les services publics et l’environnement ». « Il y a une colère qui est énorme dans le pays, parce que le travail permet de moins en moins de vivre et donc c’est ce que nous allons dénoncer le 13 octobre. […] Nous allons faire grève et manifester pour exiger des augmentations de salaires » déclarait Sophie Binet présentant la journée du 13 comme un moyen de faire pression sur la conférence sociale voulue par Macron et qui aura lieu trois jours après. « La CGT demande à ce que ce soit une conférence sociale sur les salaire », pas seulement les bas salaires. « Évidemment il y a un problème de bas salaires, mais il y a un problème de tassement général des salaires » qui « cette année, en euros constants, ont baissé parce que les prix ont augmenté plus vite ». Oui, c’est une évidence, mais comment ne pas tirer les leçons de l’échec de la bataille des retraites au bout de 14 journée d’action massives ? Quel esprit bureaucratique peut continuer d’affirmer qu’il serait possible d’obtenir une revalorisation générale des salaires par des journées d’action dans le cadre du dialogue social, bureaucratique doublé de cynisme ? Comment est-il encore possible d’entretenir ce mensonge selon lequel la conférence sociale pourrait-être un pas en avant ? Qu’il y aurait quelque chose à attendre de ce gouvernement sinon de nouvelles attaques ?
Si les appareils bureaucratiques ne tirent aucune leçon de leur propre échec, les travailleurs, eux, ont besoin d’en tirer non pour se dire qu’il n’y a rien à faire mais pour discuter ensemble de ce qu’il est nécessaire et possible de faire, réfléchir collectivement à l’organisation de la lutte, se coordonner. La lutte pour nos salaires, nos retraites ou nos allocations ne peut se préparer en un jour et encore moins réussir en un jour. Elle est un combat quotidien pour défendre nos droits au travail, faire respecter nos conditions de travail, ensemble avec nos collègues, faire vivre la démocratie, entre nous à la base pour commencer à exercer notre droit de regard sur nos conditions de travail et de vie.
La démocratie, ce n’est pas déléguer la défense de nos intérêts à des bureaucrates ou des parlementaires qui échappent à notre contrôle mais prendre en main collectivement nos affaires pour décider et diriger nos luttes, exercer notre contrôle sur les salaires et les prix, exiger l’indexation des salaires sur l’inflation, la répartition du travail entre toutes et tous, exiger l’ouverture et la transparence des comptes des entreprises, la transparence sur les marges que les grands patrons s’octroient.
Même les revendications bien prudentes qu’avance l’intersyndicale pour la journée du 13, - « l’augmentation des salaires et du point d’indice des fonctionnaires », la « revalorisation des retraites, des minimas sociaux et des bourses d’études », « l’égalité entre les femmes et les hommes », d’importants « investissements dans les services publics », « une assurance chômage plus protectrice », « une transition écologique socialement juste » -, ne pourraient être satisfaites qu’au prix d’une lutte d’ensemble décidée et organisée par les grévistes eux-mêmes à travers des assemblées coordonnées pour se constituer comme direction politique de la lutte, s’affirmer comme un contre-pouvoir ouvrier et populaire, démocratique représentant les intérêts de l’ensemble des classes populaires, en réalité de toute la société.
La démocratie ce n’est pas confier nos vies, notre sort, notre avenir à des politiciens qui, une fois élus, ne rendent aucun compte et sont dominés par les institutions et le pouvoir de l’argent, mais nous organiser nous-mêmes pour exercer notre propre pouvoir d’influence, de décisions, faire de la politique en fonction de nos intérêts collectifs, notre solidarité de classe pour faire valoir nos droits et changer le monde.
Yvan Lemaitre