Au moment où, à Versailles, Macron, avant de se croire habité par le Saint-Esprit, s’inclinait obséquieusement devant le vestige de la monarchie anglaise, partageant la suffisance autosatisfaite de dirigeants des deux plus vieilles puissances coloniales, à New York, devant l’Assemblée de l’ONU, Biden s’adressait au monde pour justifier la poursuite de la guerre en Ukraine. « Les États-Unis, avec leurs alliés et partenaires du monde entier, continueront à soutenir le courageux peuple ukrainien dans la défense de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et de sa liberté ». Zelensky a évidemment surenchéri, appelant les hésitants à dépasser « la peur de la guerre » pour le soutenir, avant d’essayer d’obtenir du Congrès américain une nouvelle aide de 24 milliards, après les 114 milliards déjà fournis par les USA.
Dans le même temps, sur la base américaine de Ramstein, devant une cinquantaine d’Etats, le chef d’Etat-major et le secrétaire à la Défense des USA confirmaient leur « soutien à long terme à l’Ukraine … aussi longtemps qu’il le faudra », expliquant que « les guerres sont une interaction entre deux volontés politiques concurrentes qui veulent imposer leur volonté à l’autre par le recours à la violence organisée. C’est l’essence même de la guerre ».
Si Biden devant l’ONU se donne le beau rôle de défenseur de la liberté en réponse à l’agression de Poutine, répétant le mensonge officiel selon lequel « la Russie porte seule la responsabilité de cette guerre », les généraux assument l’affrontement entre « deux volontés politiques concurrentes », celles des classes dominantes de l’OTAN, qui ont voulu la guerre tout autant que Poutine, et celles de Russie. Une guerre permanente s’est installée au cœur de l’Europe, dans un monde où le militarisme s’exacerbe et où de nombreuses autres zones de conflits sont prêtes à craquer, ou craquent déjà. Et dans chaque pays engagé par l’aide militaire et financière, les discours nationalistes et guerriers justifient les milliards consacrés à l’armement.
Pour convaincre à l’ONU nombre de pays pauvres qui n’ont pas soutenu la guerre contre la Russie, Biden a défendu un « monde régi par des règles élémentaires… la souveraineté, l’intégrité territoriale ». Quelle hypocrisie de la part du dirigeant de la première puissance mondiale, principal fauteur de guerre qui affirme en réalité sa politique, maintenir « les règles » qui garantissent sa domination sur le monde, politique dont Zelensky se fait l’instrument. Cela ne peut se faire qu’à travers la concurrence économique et le militarisme, la guerre contre les rivaux et concurrents qui exacerbe les nationalismes. Cela nourrit les politiques d’union nationale pour obtenir le soutien des peuples et les préparer à la guerre, et encourage les forces nationalistes les plus réactionnaires, qui donnent le ton, de Trump à Le Pen, en passant par Poutine.
L’État et la nation, instrument des rivalités au sein de la bourgeoise capitaliste
Lors de la même assemblée de l’ONU, le président brésilien Lula a dénoncé justement « les inégalités » provoquant « l’insécurité alimentaire » pour 735 millions de personnes dans le monde, l’accaparement des richesses des 10 hommes les plus riches possédant autant que 40 % de l’humanité. Mais, à la tête d’un Etat qui joue sa propre carte, Lula s’est bien gardé de faire le lien entre ces inégalités insupportables et les rivalités qui conduisent à la guerre. Il constate, comme Guterres, l’impuissance de l’ONU, et tous deux en appellent au « dialogue », à un « compromis mondial ». Des vœux pieux, anesthésiants, alors que le chaos capitaliste fait éclater les tensions entre les Etats.
Au sein des alliés contre la Russie, les rivalités nationales n’ont jamais cessé et elles s’accentuent. C’est ainsi que la Pologne, l’adversaire le plus virulent de la Russie et principale voie de livraison d’armements à l’Ukraine a annoncé qu’elle ne livrerait plus d’armes à celle-ci, en réaction aux importations massives de céréales -qui font concurrence aux producteurs polonais- en provenance d’Ukraine. Par calcul électoral et pour assurer sa place dans les nouveaux rapports de forces qui s’installent en Europe avec la guerre, le premier ministre polonais a dit vouloir favoriser sa propre armée « afin qu’elle devienne l’une des armées terrestres les plus puissantes d’Europe, et ce dans un délai très court ».
Tous les Etats capitalistes, des plus puissants aux plus petits comme l’Arménie ou l’Azerbaïdjan, sont pris dans la même logique de se battre pour leurs propres zones d’influence pour servir les intérêts de leurs bourgeoisies dans une situation de récession, de crise globale de la mondialisation capitaliste financiarisée.
Cette explosion de conflits militaires est l’expression sanglante du caractère rétrograde de l’État national, des frontières qui protègent la propriété privée capitaliste et les privilèges d’une minorité. Le développement même du capitalisme intégrant les progrès technologiques, le développement mondialisé de la finance, ont rompu le carcan des frontières nationales et ruiné les bases économiques du nationalisme auquel les bourgeoisies s’accrochent désespérément pour maintenir leur domination.
Le nationalisme, piège mortel pour embrigader les peuples
Les dirigeants de tous les Etats se servent ainsi du nationalisme et l’alimentent, poussés par leurs rivaux dans une surenchère délétère. Ici, Macron et Darmanin s’alignent sur Bardella, promettant qu’ils n’accueilleront pas un seul migrant venant de Lampedusa. Une politique criminelle. Leur nationalisme, c’est aussi celui du « soutien à l’économie », de « la réindustrialisation » à coups de milliards offerts à la finance, au prix des reculs sociaux infligés au monde du travail.
Le Pen, elle, prétend que le nationalisme est la réponse aux problèmes du monde. Elle vient de présenter une « déclaration des droits des peuples et des nations… pour œuvrer à la paix universelle » se réclamant de la « coopération », de « la libre circulation des idées » et du « droit au progrès » face au discrédit des institutions internationales. Elle érige le nationalisme comme protection contre « les grandes menaces [qui] ne proviennent pas obligatoirement uniquement des Etats », mais aussi des grands groupes privés. La démagogie identitaire « historique… culturelle… linguistique… religieuse » et souverainiste au nom « des intérêts vitaux », « de la sécurité intérieure et extérieure », et de « l’indépendance nationale », servent à construire l’illusion d’une cheffe forte à la tête d’un Etat fort et protecteur face aux dangers du monde.
Les anciens défenseurs de l’esclavage colonial et de l’Algérie française se font aujourd’hui les défenseurs des droits des peuples !
Ce repli derrière l’Etat et la nation, et sa démagogie raciste, est une réponse réactionnaire, un danger mortel qui ne peut qu’exacerber les tensions à l’extérieur et durcir l’exploitation à l’intérieur. Loin de mettre un terme à l’appauvrissement des classes populaires, il l’aggraverait en s’appuyant sur les politiques répressives déjà engagées par l’Etat.
Face à ce nationalisme, la gauche populiste est atone ou suiviste. Ruffin, cette semaine, s’est certes opposé aux termes d’« invasion » ou de « submersion » migratoires de l’extrême-droite, mais pour revendiquer « une politique d'OQTF [obligation de quitter le territoire français] qui soit beaucoup plus ciblée et beaucoup plus effective », dans la continuité des gouvernements PS-PC-EELV qui ont mené la chasse aux migrants depuis Mitterrand. Et la NUPES soutient une fois la bourgeoisie française en approuvant la politique de guerre contre la Russie de Macron au sein de l’OTAN.
Pour la solidarité internationaliste, pour les États-unis socialistes d’Europe
La défense des Etats conduit à des politiques réactionnaires alors même que les frontières nationales sont dépassées par le marché mondial et la puissance des multinationales qui, en même temps, ont besoin des Etats pour exploiter le travail et la nature et régler les rivalités entre bourgeoisies. C’est de cette contradiction que surgit l’explosion des nationalismes, instrument idéologique pour embrigader les peuples, dévoyer les colères, maintenir ce vieux monde en décomposition au prix de la guerre militaire et sociale.
Cette violence contre les peuples est celle d’un système qui a sapé ses propres bases, ruinant les fondements des Etats et du nationalisme, développant la production et le commerce à l’échelle internationale, faisant croître un nouveau prolétariat à l’échelle mondiale, dont les liens n’ont jamais été aussi forts, tant par l’organisation du travail au sein des multinationales, que par les échanges d’informations et d’idées. La compréhension progresse qu’aucun problème – ni la guerre, ni la crise environnementale, ni la récession – ne peut se résoudre à une échelle nationale, armant les consciences pour s’affronter aux mensonges des prétendues solutions souverainistes.
Ce vieux monde est dépassé, fini, emporté par ses derniers soubresauts criminels. Et les vœux pieux du pape fustigeant les « nationalismes archaïques et belliqueux » ne suffiront pas à l’achever... Cette tâche appartient à la classe mondialisée qui n’a aucun intérêt à sa survie comme à la survie de l’idéologie réactionnaire du nationalisme parce qu’elle n’a ni patrie ni frontière.
Face au camp de la réaction, toutes celles et ceux qui refusent cette barbarie du nationalisme et de la guerre ont besoin de s’unir contre les démagogues pour mettre en œuvre une politique progressiste, démocratique, respectueuse des droits de l’homme et des peuples, la solidarité internationale. Les élections européennes à venir en seront l’occasion autour de la perspective des États-unis socialistes d’Europe. Elles exigent de celles et ceux qui partagent cette perspective, le mouvement révolutionnaire, de faire un front commun internationaliste.
François Minvielle