La question qui nous est posée est plus précisément « quel parti, quelle organisation contribuer à construire pour aider les luttes des exploité·e·s et opprimé·e·s à poser la question du pouvoir jusqu’au bout ? ». Nous avons bien sûr, pour discuter de cela, besoin d’étudier l’histoire du mouvement révolutionnaire et la façon dont, dans des contextes très différents, ses militants et dirigeants se sont posé la question de construire un parti révolutionnaire des travailleurs. Mais ce dont je voudrais discuter ici c’est de la nécessité d’essayer de nous en approprier la démarche, penser la réalité des rapports de classe aujourd’hui pour tenter de définir un projet, des perspectives politiques pour les luttes du monde du travail, pour toutes celles et ceux qui aspirent à changer le monde.

Le succès de nos rencontres militantes comme celui des universités d’été de RP et du NPA-Poutou, qui ont rassemblé plus de 1800 participant·e·s au total (dont énormément de jeunes dans nos RER et à RP) témoignent de l’attrait pour les idées révolutionnaires, du besoin d’en débattre et de l’importance des questions qui nous sont posées. Cela s’est mesuré à l’affluence lors des débats avec RP puis avec LO lors de nos rencontres, une attente qui nous donne des responsabilités.

Une période de bouleversements et de transition où toute contestation, toute revendication amène à une confrontation avec l’ordre établi

La crise de 2007-2008 a ouvert une nouvelle étape de la lutte de classe, des révolutions des printemps arabes jusqu’aux Gilets jaunes et aux luttes de l’année écoulée.

Luttes pour les retraites, les salaires, contre la précarité, émeutes contre les violences policières, exigences environnementales, luttes féministes, solidarité internationaliste, lutte contre le racisme et la xénophobie, l’exclusion, solidarité de classe avec les migrants… toutes les luttes mènent aujourd’hui à la contestation de la domination capitaliste et posent la question démocratique de qui décide, de ce que l’on produit, comment et pour qui, la question du pouvoir. Et donc la question du projet révolutionnaire.

Discuter de quel parti nous voulons construire, c’est discuter de quel projet révolutionnaire, quelles perspectives pour les luttes, pour changer la société ?

En juin 38, dans « Discussion sur le programme de transition », Trotsky écrivait : « De même que les ouvriers actuels, plus que les anciens barbares, ne peuvent travailler sans outils, de même dans le parti le programme est l’instrument. Sans le programme, chaque ouvrier doit improviser son outil, trouver des outils improvisés, et chacun contredit l’autre ».

Et, un peu plus loin « La nécessité d’un parti politique des travailleurs est donnée par les conditions objectives, mais notre parti est trop petit, manque d’autorité pour organiser les travailleurs dans ses propres rangs. C’est pourquoi nous disons aux ouvriers, aux masses : « II vous faut un parti. » Mais nous ne pouvons pas leur dire immédiatement de rejoindre notre parti ».

Poser la question de la construction d’un parti des travailleur.es, c’est poser la question du programme… et du regroupement des révolutionnaires

La période que nous traversons est une période de bouleversements et de transition aussi pour l’extrême-gauche. Alors qu’elle est plus que jamais divisée, elle se trouve devant la nécessité de répondre aux besoins du mouvement, d’élaborer en son sein et avec lui des perspectives, un programme pour armer la contestation du monde du travail et de la jeunesse, de se mettre au niveau des exigences de la situation.

Chaque courant, chaque fraction du mouvement révolutionnaire est confronté à l’urgence à dépasser l’émiettement actuel, à rompre avec le sectarisme dans lequel notre histoire nous a enfermés où chaque organisation révolutionnaire fait la théorie d’elle-même. Sectarisme entre organisations qui s’accompagne d’un sectarisme vis-à-vis du mouvement lui-même avec une tendance à faire la morale aux travailleurs, à expliquer ce qu’il faudrait faire avec des schémas préétablis alors que nous avons besoin de nous mettre à l’école du mouvement, à partir des besoins de la lutte telle qu’elle se déroule pour tracer des perspectives, en son sein et avec ses militants.

Poser la question de la construction d’un parti révolutionnaire des travailleuses et travailleurs, c’est poser la question du regroupement des révolutionnaires, non seulement de ses organisations mais de l’ensemble de ses militants, dont beaucoup ne veulent pas choisir entre les différentes organisations, pour élaborer ensemble un projet révolutionnaire.

Initier un processus d’élaboration démocratique

Dépasser l’émiettement actuel, avancer vers un regroupement du mouvement révolutionnaire présuppose bien évidemment que ses différentes organisations arrêtent de s’ignorer et dépassent les relations purement formelles. En ce sens, la présence de LO et RP à nos RER est très positive, malgré les crispations dont témoignent les échanges. Mais au-delà, il y a besoin d’initier un processus d’élaboration démocratique en associant largement. Pour reprendre ce que défendait Trotsky, c’est à travers « une compréhension commune des événements, des tâches » que pourra s’élaborer le programme du parti et se construire le parti lui-même.

Une nouvelle génération est à la recherche d’idées, d’une compréhension globale de la société, de perspectives pour sa révolte face à la faillite globale du capitalisme. Les germes du parti révolutionnaire se trouvent en son sein, au sein du mouvement lui-même, parmi les militantes et militants des collectifs de lutte, des interpros, des coordinations, des AGs, dans les nombreux « soulèvements » contre les oppressions, la course au profit, la marche à la guerre.

La question qui nous est posée, c’est comment donner corps à ce parti, construire sa cohésion en intégrant l’ensemble des exigences portées par les mouvements dans un projet révolutionnaire pour répondre à la faillite globale du capitalisme mondialisé. Un projet pour aider à l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes en élaborant un programme pour la conquête du pouvoir pour imposer et garantir la satisfaction des revendications qui implique le contrôle et la planification de la production.

C’est la démarche que le courant DR a portée dans le 5ème congrès du NPA, en particulier dans la motion « refonder le NPA, faire vivre la démocratie, reconstruire le lien programme et stratégie révolutionnaires pour œuvrer à notre unité ». Nous y écrivions :

« Face à l’essor international des luttes de classes en réponse à l’offensive tous azimuts des classes dominantes, face à l’impasse de la gauche réformiste et populiste ainsi qu’aux divisions du mouvement révolutionnaire, le congrès a pour enjeux de préserver le NPA, son projet de rassemblement des anticapitalistes et révolutionnaires, de nous donner les moyens de le renforcer, de lui donner une nouvelle dynamique. Il en est de l’intérêt de toutes et tous. »

« Une nouvelle génération militante émerge. Nous devons lui offrir un cadre ouvert et démocratique pour s’éduquer et agir, un cadre rompant avec le sectarisme, unitaire vis-à-vis du mouvement révolutionnaire pour œuvrer à la construction d’un front des révolutionnaires en mesure d’influencer le cours des choses, de donner force à leurs aspirations. L’indépendance de classe vis à vis des réformistes, des appareils parlementaires et syndicaux en est la condition comme elle est la condition pour mettre en œuvre une orientation politique réconciliant stratégie et programme ».

L’ancienne direction du NPA a tranché le débat pour elle mais cette orientation reste une nécessité pour répondre aux besoins du mouvement lui-même, de ses militant·e·s, pour que les acquis des luttes récentes ne soient pas perdus mais au contraire servent à renforcer la confiance des travailleur·e·s, des jeunes, dans leur force. Comment faire en sorte que la fraction la plus consciente du mouvement s’organise en parti, en toute indépendance de la gauche syndicale et parlementaire, dans l’objectif de diriger ses luttes en ne craignant pas l’affrontement avec la bourgeoisie et son Etat ? Cette question se pose avec une acuité nouvelle à l’ensemble du mouvement révolutionnaire.

Faire en sorte que la fraction la plus consciente du mouvement s’organise en parti

La question du parti se pose en termes nouveaux depuis l’effondrement de l’URSS, puis la grande dépression de 2008-2009 et aujourd’hui avec la guerre.

Elle s’est posée en 1995, au lendemain des 5 % obtenus par Arlette Laguiller à la Présidentielle, quand LO avait pris l’initiative d’appeler à la construction d’un parti des travailleurs avant de faire machine arrière. Elle se dérobait alors aux nécessités et aux responsabilités que lui donnaient la situation et l’audience qu’elle avait su conquérir, responsabilités vis-à-vis de l’ensemble de l’extrême-gauche et de tous ceux qui regardaient vers elle. Une dérobade suivie de l’exclusion des camarades à l’initiative de notre courant qui continuions à défendre la nécessité de cette orientation.

Puis en 2008, alors que l’économie mondiale s’enfonçait dans la dépression avec la crise des subprimes, la LCR avec laquelle nous avions fusionné s’engageait dans le processus de fondation du NPA. Une tentative qui visait à regrouper les anticapitalistes et révolutionnaires, d’entrée affaiblie par le refus de LO de s’y associer alors qu’elle aurait pu y avoir une influence déterminante. Le congrès fondateur de 2009 a alors débouché sur un compromis entre, d’un côté, l’affirmation d’une stratégie révolutionnaire et, de l’autre, une orientation dite de « parti large » laissant la question stratégique ouverte.

L’impulsion donnée, l’attrait et l’écho que cette initiative a eu pour nombre de travailleurs et de jeunes, la bataille qu’une partie d’entre nous avons menée pour que les ambiguïtés soient tranchées et que le compromis débouche sur un processus de construction d’un parti des travailleurs, ne pouvait pas suffire à éviter l’échec. Le débat stratégique qui aurait dû permettre de trancher les ambiguïtés n’a jamais eu lieu, en dépit des tentatives d’une partie d’entre nous pour l’initier. L’ensemble des courants révolutionnaires au sein du NPA n’avons pas été en mesure de mener collectivement cette bataille qui exigeait un dépassement de chacun.

Cet échec nous met aujourd’hui devant des responsabilités nouvelles. La question que porte ce débat, quel parti construire, autour de quel projet, nous savons tous que nous ne pourrons y apporter des débuts de réponse que dans un débat démocratique avec l’ensemble du mouvement révolutionnaire et ses militant·e·s, organisé·e·s ou non.

15 ans après la grande dépression de 2008-2009, l’accélération aujourd’hui de la faillite capitaliste, la guerre, le renouveau de la lutte de classe posent la nécessité impérieuse de prendre l’initiative pour contribuer à une refondation révolutionnaire, en rompant avec les logiques sectaires et sécessionnistes dont l’extrême-gauche est prisonnière.

Isabelle Ufferte

intervention aux RER du NPA

 

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