Jeudi 22, Macron ouvrait à Paris le sommet « Pacte financier mondial », deux jours de mise en scène qui ont rassemblé de nombreux responsables politiques et économiques, des chefs d’Etats, en particulier africains, les patrons du FMI, de la Banque Mondiale et de l’ONU, la secrétaire d’Etat au Trésor US Janet Yellen, les dirigeants de l’UE, etc. Tout ce beau monde disait vouloir réformer les institutions financières mondiales nées à Bretton Woods à la fin de la 2ème guerre mondiale, dont le FMI et la Banque mondiale, pour les adapter aux exigences du moment : « aider » les pays pauvres à surmonter la crise humanitaire qui les frappe et à lutter contre le réchauffement climatique dont ils sont les premières victimes. Comme si dès leur fondation, la Banque Mondiale et le FMI n’avaient pas été les principaux vecteurs du pillage du Tiers-Monde par les financiers des puissances impérialistes ! Comme si, ainsi que le rappelait Lula, ça n’est pas par leur intermédiaire que la grande bourgeoisie des pays riches a pillé et ruiné et continue de ruiner les pays pauvres qu’elle dit aujourd’hui vouloir aider ! La véritable motivation de Macron, initiateur du sommet, outre une occasion de plus de jouer au sauveur de monde, est surtout de tenter de redonner une impulsion à un mécanisme soumis à la concurrence d’autres investissements, en particulier chinois. Et pour cela s’attirer les bonnes grâces des dirigeants locaux, en ouvrant la voie aux investisseurs privés par « un choc d’investissements publics » -dixit Macron…

C’est à la même logique que répond le numéro d’illusionniste auquel il se livre depuis plus d’un mois sur le thème de la « réindustrialisation ». Le 11 mai, il ouvrait le bal devant un « parterre de chefs d’entreprises ». Le lendemain, à Dunkerque, il se félicitait de la construction d’une usine de batteries du groupe taïwanais ProLogium. Trois jours plus tard, à Versailles, il vendait « l’attractivité » de la France au salon Choose France… Depuis, il a couru au secours de la filière pharmaceutique, promettant le retour des productions de médicaments de base. Sans oublier le salon Viva Tech, la foire aux start-ups qui s’est tenue mi-juin.

Le président fait le spectacle pour nous endormir… tout en poursuivant sa distribution de nouvelles subventions aux entreprises. Le Maire, lui, répète en boucle que, vu l’état déplorable des finances publiques et le niveau de la dette, le « quoi qu’il en coûte », c’est terminé, et qu’il faut maintenant passer à leur « assainissement ». Lundi 19, aux assises des finances publiques, il nous présentait la facture : un plan de plus de 10 milliards d’économies sur le budget de l’Etat, financé par la chasse aux fraudes à la sécu, fiscales, etc. Borne, que le cynisme n’étouffe pas, n’y voyait aucune « austérité », simplement le prolongement des réformes de l’assurance chômage et des retraites…

Au même moment tombaient les bilans du CAC40 pour l’année 2022, que Les Echos de jeudi 22 présentaient ainsi : « Après le rebond de sortie de crise, les géants du CAC40 ont transformé l’essai en 2022 ». Leur chiffre d’affaires cumulé a bondi de 22 % pour atteindre 1 747 milliards d’euros tandis que leurs profits cumulés s’élèvent à 143 milliards d’euros. Dans un autre article, « CAC 40, quand les prix font les profits », le journal dévoile les ressorts de ce « succès » : « La politique monétaire expansive, le quoi qu'il en coûte budgétaire partout dans le monde et le succès de leurs propres stratégies ont permis aux acteurs économiques de préserver leurs marges : en 2022, le taux est resté à 32 % ». Des « stratégies » qui ont consisté à utiliser leur position dominante dans les chaînes d’approvisionnement mondiales pour imposer leurs propres prix afin de maintenir leurs profits, ce qui en fait la cause première de l’inflation, la « greedflation », l’inflation de la cupidité…

Il n’y a aucune contradiction entre cette accumulation sans précédent de profits et un chef d’Etat faisant la retape à coups de subventions pour attirer des capitaux privés dans des créations d’entreprises, l’un se nourrit de l’autre. Ces subventions sont la manne sans laquelle les grandes multinationales ne pourraient maintenir leurs profits et seraient même menacées dans leur intégrité, à la merci de revirements boursiers impossibles à contrôler. Nul ne peut dire si les baisses boursières qui se sont produites cette semaine sont passagères ou le prélude à un krach. Et cette incertitude dans un contexte géopolitique et économique qui ne cesse de se dégrader explique certainement le rythme avec lequel Macron et le gouvernement mènent, de front, les deux volets de leur politique, assurer les profits des 1 % en faisant les poches des 99 %.

La mondialisation « insoutenable »… pour le capital

Tout comme l’IRA (Inflation Reduction Act, 400 milliards de subventions aux entreprises) de Biden aux Etats-Unis, le show de Macron autour de la réindustrialisation cherche à répondre aux besoins du capital. Covid, guerre en Ukraine, exacerbation de la guerre commerciale internationale ont perturbé les chaînes de production mondiales au gré de la dégradation des rapports géopolitiques. Les bourgeoisies des vieilles puissances industrielles sont confrontées à la nécessité de retrouver une partie de leur autonomie industrielle dans un monde dont l’organisation économique a été profondément bouleversée depuis la crise de 2007-2008, au point de devoir aujourd’hui construire une « économie de guerre ». Selon la Tribune, qui cite la secrétaire au Commerce des Etats-Unis, la mondialisation serait devenue « insoutenable ». Elle explique : « notre chaîne mondiale d'approvisionnement, créée pour maximiser l'efficacité à court terme et minimiser les coûts, doit être réinventée afin d'en assurer la résistance », « Des chaînes d'approvisionnement solides sont vitales pour une meilleure sécurité économique et nationale ». Et Le Maire : « Nous avons un nouveau rapport à la mondialisation. Chacun a compris qu'il valait mieux produire les choses chez soi. Tout simplement parce que c'est trop risqué de les produire ailleurs ».

« Trop risqué » pour les grandes entreprises qui ont besoin de s’assurer la disponibilité de composants indispensables à leur production. C’est le cas en particulier ici de l’industrie automobile, en pleine mutation vers l’électrique dans un contexte international de concurrence exacerbée. Macron le dit lui-même : la campagne d’incitation aux investissements étrangers autour de la production de batteries et de puces a pour objectif premier de garantir à Stellantis (un des grands gagnants du CAC40…) et Renault la disponibilité de ces éléments essentiels. Les aides de l’Etat à ces implantations sont, indirectement, des aides apportées aux multinationales du CAC40, un subventionnement de leurs profits.

Quand Macron veut rivaliser avec les Etats-Unis…

Dans la promotion de son plan « France 2030 », Macron se targue de concurrencer le plan IRA de Biden. Une prétention dérisoire, du fait tout d’abord des moyens engagés, 54 milliards face à 400 milliards. Mais aussi compte tenu des reculs subis en France par la production industrielle au cours du dernier demi-siècle, bien supérieurs en proportion à ceux des Etats-Unis.

Selon l’Insee, en 1976, il y avait en France 13,45 millions de salariés tous secteurs confondus dont 5,6 millions dans l’industrie. En 2017, le nombre global était passé à 16,23 millions (+ 20 %) alors que dans l’industrie, il était tombé à 3,2 millions (- 40 %). Pendant la même période, la part de la production industrielle dans le PIB a été divisée par deux. Autre indicateur de ces reculs, l’ampleur des friches industrielles dont la surface, selon Macron, atteindrait jusqu’à 150 000 hectares, stigmates de cinquante ans de fermetures d’usine. Ces reculs de l’activité industrielle se sont logiquement accompagnés de celui de l’enseignement technique et professionnel assuré par l’Education nationale, générant une telle perte de compétences qu’EDF a été obligée de faire venir des équipes de soudeurs des Etats-Unis pour intervenir sur les fissures des tuyauteries des centrales nucléaires. Au point aussi que Macron se félicitait de l’implantation à Dunkerque de l’usine de ProLogium parce que, avouait-il, « nous ne savons pas faire ».

Cette démolition en règle de la production industrielle résulte du développement des multinationales, au fur et à mesure qu’elles étendaient leurs chaînes de valeur mondiales en quête de « gisements » de main d’œuvre bon marché. Tous les gouvernements se sont mis au service de cette « externalisation », y compris Macron qui joue aujourd’hui le champion de la « réindustrialisation » au nom d’un prétendu intérêt national, d’un ridicule « nationalisme industriel » qui ne peut tromper que ceux qui s’y laissent prendre.

Son apparent revirement n’est en réalité que la poursuite d’une même politique, au service des mêmes multinationales mais dans un contexte qui a changé. La preuve en est dans le choix du type d’usine qu’il s’agit d’implanter. Batteries, puces électroniques, éléments pharmaceutiques de base, autant de futurs sous-traitants qui permettront aux grandes entreprises « tricolores » de garantir les approvisionnements nécessaires à la production destinée au marché européen, tandis qu’elles continueront autant que faire se peut leurs activités sur le reste du monde en s’approvisionnant sur place (en moyenne, 70 % de l’activité des entreprises du CAC40 se déroule à l’étranger).

Quant à la promotion faite par le président aux « technologies innovantes », aux start-ups made in France réputées porter en-elles les clés du retour de la croissance, c’est un bluff, mais surtout un biais par lequel l’Etat, en finançant le fonctionnement des « pépinières » d’entreprises de la French Tech, subventionne en réalité les investisseurs du capital risque.

Non à l’austérité pour financer le capital, annulation de la dette et socialisation des banques et de l’industrie

« Réindustrialisation », « Pacte financier mondial », sous ces titres ronflants Macron poursuit à un rythme accéléré le financement des grandes entreprises privées, des holdings financières du CAC40 afin d’assurer leurs profits. Simultanément, ses comparses Borne et Le Maire déclenchent une nouvelle offensive. Sous prétexte d’assainissement des finances publiques, les mesures de leur plan de 10 milliards d’économies sur le budget de l’Etat vont essentiellement toucher le monde du travail, s’ajoutant aux conséquences de l’inflation qui écrase les salaires réels et aux reculs imposés par les réformes de l’assurance chômage et des retraites. Quoi qu’en dise Borne, il s’agit bien d’un plan d’austérité dont la fonction première n’est pas d’assainir les finances publiques, mais bien de dégager l’argent nécessaire à financer le capital confronté à sa propre faillite. Les deux opérations sont complémentaires, transférer toujours plus des richesses des poches des 90 % dans les coffres des 1 %. Les « 100 jours d’apaisement » auxquels nous invitait Macron prennent leur véritable sens.

A voir la rapidité avec laquelle se déroulent ces deux opérations, le gouvernement cherche certainement à prendre de vitesse la révolte sociale qu’il craint, comptant sur une certaine sidération venant s’ajouter à la démoralisation qu’il espère résulter de l’échec du mouvement contre la réforme des retraites. A cela s’ajoute aussi l’urgence de soutenir les classes dominantes et leurs profits face à la dégradation, accélérée elle aussi, de la situation économique et géopolitique mondiale. Une politique qui ne règle rien des contradictions à l’œuvre mais qui au contraire les accentue.

Tout comme elle ne peut qu’accentuer la colère sociale qui couve, la perspective que reprenne vie le mouvement social fort des leçons tirées de la séquence des retraites et des embryons d’organisation indépendantes qu’il s’est donné ici ou là, pour dire non aux politiques d’austérité, exiger l’annulation de la dette qui draine les ressources publiques vers les coffres de la finance, la socialisation des banques et de l’industrie.

Daniel Minvielle

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