Alors que la crise du logement frappe de plus en plus durement le monde du travail et les plus pauvres, Borne est venue annoncer, après avoir reporté plusieurs fois, les décisions du gouvernement en clôture du Conseil National de Refondation Logement le 5 juin. Sans surprise, les conclusions sont à l’image de cette comédie du CNR, seulement destinée à mettre en scène la politique d’austérité du gouvernement.
Qu’importe si le nombre de sans-abri a explosé de 143 000 en 2012 à 330 000 aujourd’hui ! Qu’importe si les drames dus aux logements insalubres ou au manque d’entretien du gaz se multiplient, comme en témoignent les incendies de la rue St Jacques à Paris cette semaine, après Vaulx-en-Velin en décembre dernier ou l’effondrement de deux immeubles vétustes en plein centre de Marseille en 2018. Qu’importent les morts de froid dans la rue ou dans leur voiture, les travailleur.es contraints de s’héberger dans les campings ou le retour des bidonvilles dans les grandes villes. Sans parler de ce marché de la misère qui prospère, de ces marchands de sommeil qui louent à prix d’or meublés insalubres, combles, ou même caves sans le moindre scrupule.
Klein, le ministre du logement, a résumé la politique du gouvernement : « Nous sommes entrés dans l’ère de l’argent public rare » ! Au-delà de quelques mesurettes de court terme, Borne a ainsi annoncé le rétrécissement du prêt à taux zéro, destiné à ceux qui achètent pour la première fois leur résidence principale et qui se limitera à l’achat de « logements neufs en collectifs » dans les seules zones dites tendues. Elle a aussi annoncé la fin du Pinel, mis en place sous le gouvernement Hollande et offrant une réduction d’impôt aux propriétaires de logements neufs destinés à la location. Deux mesures qui atteindraient les 2 milliards d’économies par an, quitte à aggraver la crise de l’immobilier puisque le gouvernement ne prévoit rien pour les compenser.
Hypocrite et cynique, il met en avant l’inefficacité du Pinel, qui s’inscrit dans tous les dispositifs mis en place depuis les années 1980 pour promouvoir l’immobilier privé et désengager l’Etat du logement social. Tous ont défendu cette même politique qui au final profite à ces 3 % de multipropriétaires qui concentrent la moitié des logements mis en location. Ces politiques ont fait faillite, mais pas question pour le gouvernement de reverser le Pinel au secteur du logement social qu’il continue de ponctionner. Par contre, il n’hésite pas à voler au secours des gros promoteurs immobiliers qui ont du mal à vendre, en annonçant le rachat de 47 000 logements par la Caisse des Dépôts et Action Logement.
Pas un mot sur l'encadrement des prix du foncier ou sur la régulation des meublés de tourisme type Airbnb, qui bénéficient d’une niche fiscale encore plus intéressante que celles accordées aux autres propriétaires bailleurs. Pas un mot sur la baisse des loyers, alors que tout le monde reconnaît la facilité de contournement des mesures d’encadrement prises dans les grandes villes.
Comble de cynisme, sur la question des sans-abri. Borne avait annoncé une enveloppe ridicule de 160 millions supplémentaires. Devant le tollé, Klein a porté le plan global à 500 millions d’euros pour « sortir plus de 800 000 personnes de la rue en dix ans ». Reloger 80 000 personnes par an avec 100 millions, soit 1250 € par personne comme le relève le DAL, qui rajoute justement : « le gouvernement, comme à son habitude est radin pour les plus précaires, mais le plus choquant est de laisser croire qu’il s’en occupe » !
Logement social, ils n’en ont rien à faire
Cette « bombe sociale », ce sont 12 millions de personnes mal logées ou vivant dans des passoires thermiques et 2,4 millions de ménages en attente d’un logement social, un record historique.
Alors que les demandes explosent, les constructions de logements sociaux reculent fortement : 120 000 agréments pour la construction de HLM en 2016, 95 000 en 2021 et 2022 et probablement moins de 80 000 pour 2023 et 2024. L’Etat investit 7 milliards d’euros de moins en 2020 qu’en 2010. Comme le dénonce le président de la Fédération Nationale des Offices Publics de l’Habitat : « La dépense pour le logement en France est passée, entre 2016 et 2021, de 42 à 35 milliards d’euros, alors que, dans le même temps, les recettes (fiscales) augmentaient de 20 milliards pour passer de 68 à 88 milliards d’euros ».
Parallèlement, le gouvernement a fait peser sur les offices HLM sa politique de diminution des APL (Aides Personnalisées au Logement) en les ponctionnant de 1,3 milliard d’euros par an depuis 2018. Une politique de 15 milliards d’économies sur le dos des couches populaires durant l’ensemble du quinquennat. A cela s’ajoute l’envolée des taux d’intérêts et du Livret A, qui sert de base aux crédits à longs termes accordés par la Caisse des Dépôts aux bailleurs sociaux. Le rendement du Livret A est ainsi passé de 0,5 % à 3 % en un an et menace d’atteindre les 4 % en août. Ajouté à cela, l’augmentation des coûts de production dans le secteur du BTP qui restent en augmentation de 26 % par rapport à 2010, la situation conduit droit à la diminution drastique des programmes de logements.
Politique anti-pauvre et haine de classe
Incapable de faire face à cette crise, le gouvernement se propulse pour mettre en place une législation anti-pauvres. Le 14 juin, le Sénat adoptait la loi « anti- squat » de Kasbarian-Bergé, avec le soutien de la droite et du RN, tous unis pour la défense des propriétaires. « Le squat est un viol de l'intimité et nous souhaitons qu'il soit réprimé sans faiblesse » a déclaré la sénatrice LR Dominique Estrosi-Sassone… Une haine de classe contre les pauvres sans la moindre retenue.
Le texte triple les sanctions contre « l’occupation illicite d’un logement », les portant à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, avec une peine de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende pour une occupation d’un local non résidentiel. La nouvelle loi prévoit aussi une amende correctionnelle de 7 500 euros en cas de loyer impayé si l’occupant reste dans son logement, elle envisageait même de la prison avant de passer au Sénat.
Même l’ONU a dénoncé ces mesures en concluant que « l’adoption de ces dispositions nous paraît de nature à augmenter le risque de sans-abrisme » ! Une loi révoltante alors que le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire est passé de 700 000 à 2,5 millions depuis 2019 et que le nombre de morts dans la rue a presque doublé en 20 ans. Le collectif Morts de la rue en a identifié 611 en 2022, un chiffre qu’eux-mêmes estiment bien inférieur à la réalité.
Le logement abandonné au privé, quand la bulle spéculative éclate
La crise immobilière traduit l’ampleur de la faillite des politiques menées par les gouvernements successifs depuis 30 ans. Démolition-construction des HLM, recours aux bailleurs privés, subventions aux propriétaires, tous ont cherché à privilégier l’offre privée au détriment du logement social.
Après la crise de 2007-2008, la BCE se lance dans une politique de taux d’intérêts exceptionnellement bas pour tenter de relancer la machine économique. Mais elle ne fera qu’alimenter la spéculation financière sous toutes ses formes. Dans l’immobilier, les prix s’envolent en même temps que le nombre de transactions à partir de 2011, passant de 800 000 à 1,2 million par an jusqu’en 2018.
Mais l’inflation et la crise globale dans laquelle l’économie mondiale est rentrée ont provoqué un revirement de la politique de la BCE, qui a relevé brutalement ses taux de 3,75 points au total depuis juillet 2022. Une augmentation des taux d’intérêts censée mettre un terme à l’inflation disait Lagarde, alors que celle-ci se poursuit, alimentée par les marges de plus en plus importantes des grands groupes capitalistes qui voient leurs profits battre des records.
Si la politique de la BCE est bien impuissante à enrayer l’inflation, elle aboutit à l’envol des taux d’intérêts des crédits immobiliers et à leur diminution, précipitant la récession de l’ensemble du secteur. Le taux moyen des crédits immobiliers est ainsi passé de 1,06 % en décembre 2021 à 3,15 % en avril 2023. Quant au montant cumulé des nouveaux crédits, il a chuté à 15 milliards d'euros en avril dernier, contre 25,9 milliards un an plus tôt.
Le rétrécissement du crédit combiné à la flambée des prix des matériaux et de l’énergie conduit à un effondrement du secteur immobilier privé. Le marché du neuf s’effondre avec une chute de 25 % des réservations d’appartements sur un an en 2022 et 34 % sur le premier semestre 2023. La chute a même atteint 52 % pour les réservations des particuliers. Mais le marché des logements anciens recule lui aussi, alors qu’il avait atteint un niveau record, 1,2 million de transactions en 2021, grâce aux faibles taux d’intérêts. Le secteur prévoit un recul de 10 à 15 % en 2023, sous la barre du million de transactions.
Alors que le crédit se resserre et que les ventes sont plus difficiles, les prix ne baissent pas dans les mêmes proportions. Les groupes immobiliers maintiennent les prix par la restriction de l’offre. Une situation qui conduit aujourd’hui à une explosion de la demande en logements de + 54 % en 2022 et à une offre qui continue de baisser !
La « main aveugle du marché » qui est censée tout réguler harmonieusement est une fable. La crise du logement est devenue majeure, produit de la crise du capitalisme qui se généralise à tous les secteurs de la vie sociale.
Sortir le logement du « marché », exproprier les spéculateurs, imposer le contrôle des travailleurs
Comme pour la santé, l’éducation, l’accès à l’énergie, il n’y aura pas de solution à cette crise immobilière sans s’attaquer à cette folle mécanique du profit, sans exproprier les expropriateurs. Comme le dit le DAL, « un toit, c’est un droit », personne ne doit se retrouver à la rue, sans-abri, ni dans un logement insalubre. Pour faire face à l’urgence, les organisations de précaires, les équipes syndicales et les travailleur.es ont les moyens d’appliquer la réquisition des 3,1 millions de logements vacants ou des locaux et bureaux inutilisés. Cela signifie imposer l’abrogation de la loi anti-pauvres Kasbarian-Bergé et interdire les expulsions sans relogement. Il est urgent de diminuer les loyers qui continuent de grimper et d’augmenter les APL pour permettre à tous de se loger dignement. Cela signifie s’organiser entre locataires dans les cités HLM, dans les quartiers, les communes pour contrôler la politique des bailleurs publics comme des propriétaires privés.
Il est urgent de reprendre une politique de construction de logements sociaux pour répondre aux besoins de la collectivité. Cela signifie rompre radicalement avec les politiques de promotion du secteur privé menées depuis 30 ans. Avec l’aide de l’État, les groupes du BTP comme Vinci, Bouygues, Eiffage sont devenus des multinationales de la construction en même temps qu’ils développaient chacun leurs filiales immobilières, tout comme Nexity, Altarea-Cogedim ou BNP-Paribas. Ces promoteurs ont bâti des fortunes au point que, depuis les années 1990-2000, l’immobilier n’est plus qu’un secteur de la finance comme un autre, propre à toutes les spéculations, avec des conséquences néfastes pour toute la collectivité.
Ce sont là les deux bouts d'un même marché avec, d'un côté, l'immobilier qui n'a jamais été aussi florissant depuis vingt ans, et de l'autre une crise du logement dramatique qui touche toute la société. Aujourd’hui, il est urgent d’exproprier ces grands groupes financiers, ces multinationales du bâtiment et ces gros promoteurs immobiliers pour mettre en place un réel service public du logement, fonctionnant sous le contrôle démocratique des salariés du secteur comme des habitants des quartiers populaires.
Relancer un plan de construction de logements sociaux signifie s’attaquer au rôle des banques, usuriers financiers qui s’enrichissent de la dette et des taux d’intérêts, les exproprier pour imposer un monopole public bancaire, seul capable de fournir des crédits bon marché pour satisfaire les besoins utiles à la population.
Laurent Delage