La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, la fin de la guerre froide marquent un tournant, la fin d’une époque ouverte par le développement impérialiste du capitalisme, ce « court XXème siècle (1914-1991) » selon l’expression de l’historien marxiste Eric Hobsbawm dans son livre L’âge des extrêmes.

En 1914, la première guerre impérialiste mondiale précipitait la fin des anciens empires coloniaux. Les bourgeoisies des principales puissances dominantes se repartageaient le monde, les colonies et les marchés à travers une immense boucherie qui sanctionnait les nouveaux rapports de force économiques et militaires. Une guerre dont les conséquences allaient façonner le XXème siècle.

« Que le vieux monde fût condamné paraissait évident. La vieille société, la vieille économie, les anciens systèmes politiques avaient “perdu le mandat du ciel”, comme disent les Chinois [...]. Il semblait que les peuples n’attendaient qu’un signal pour se lever et transformer les absurdes souffrances de la guerre en quelque chose qui apparaîtrait comme les douleurs de l’enfantement et les convulsions sanglantes d’un nouveau monde en gésine. La révolution russe ou, plus précisément, la révolution bolchevique d’Octobre 1917 devait donner ce signal au monde. Dans l’histoire de ce siècle, elle est donc devenue un événement aussi central que la révolution de 1789 dans celle du XIXe siècle. De fait, ce n’est pas un hasard si l’histoire du court XXe siècle coïncide pratiquement avec la durée de l’État né de la révolution d’Octobre » écrit Hobsbawm.

Ce court XXème siècle fut celui des guerres impérialistes et des révolutions mêmes si ces dernières ne purent parvenir à en finir avec la domination de la classe capitaliste.

Malgré l’isolement de l’URSS après l’échec de la vague révolutionnaire, malgré l’offensive économique, politique, militaire des puissances impérialistes, l’élan de la révolution ouvrière de 1917 avait permis à l’URSS de résister pendant plus de 70 ans, même si c’était depuis plusieurs décennies sous la forme hideuse de la dictature de la bureaucratie stalinienne. L’existence de l’URSS, le maintien d’une fraction du monde échappant aux rapports de propriété capitalistes avait continué à représenter, malgré sa dégénérescence, un encouragement pour les luttes de tous ceux qui tentaient de s’émanciper de la domination impérialiste, dont les révolutions anticoloniales au lendemain la seconde guerre mondiale.

Mais l’URSS n’en était pas moins un élément de stabilité pour l’ordre impérialiste mondial, se chargeant de faire régner l’ordre dans les pays du « glacis soviétique » négocié avec les USA et les « alliés » au sortir de la seconde guerre mondiale sur la base du rapport de force militaire. Au sein des pays impérialistes, les partis communistes liés à l’URSS ont eux aussi joué un rôle déterminant pour la bourgeoisie, telle la participation du PCF à la reconstruction de l’appareil de production et de l’État aux côtés de De Gaulle en 1945-47… puis à nouveau en 1981-84 dans le gouvernement Mitterrand-Mauroy qui initiait, en France, l’offensive libérale.

La chute du Mur et la réunification de l'Allemagne puis l’effondrement de l’URSS marquaient la fin de cette période. La révolution n’avait pu en finir avec l’ordre capitaliste, la fin de l’URSS était une étape de la contre-offensive libérale et impérialiste, elle ouvrait en même temps la voie à une accélération de la mondialisation financière.

L’effondrement de l’URSS, étape de l’offensive libérale contre les travailleurs et les peuples

Depuis la fin des années 70, face à la récession qui avait succédé aux « trente glorieuses », les gouvernements des grandes puissances impérialistes s’attaquaient aux travailleurs et aux peuples pour tenter de rétablir leurs taux de profits. Reagan, Thatcher, puis Mitterrand en France ou Kohl en Allemagne, « libéralisaient » l’économie, sabrant dans les acquis et les protections sociales. De puissantes grèves étaient défaites en Angleterre, aux USA. En France le gouvernement Mauroy bloquait les salaires, chantait les louanges de la Bourse et du profit, réprimait les grèves dans l’automobile.

En 1982, les grandes puissances ouvraient les frontières à la libre circulation des capitaux, levant ce qui pouvait freiner leurs déplacements à la recherche d’investissements prometteurs. Les délocalisations d’entreprises se multipliaient alors vers d’anciennes colonies et des pays « en voie de développement », à la recherche d’une main d’œuvre disponible et peu chère. Dans le même temps, FMI et Banque mondiale inondaient ces pays de prêts, intensifiant leur pillage, cette fois par le biais de la dette.

Le mouvement ouvrier et démocratique subissait dans le monde entier de lourdes défaites et le rapport de forces reculait tant sur le terrain économique que politique. Les anciens peuples opprimés commençaient à s’intégrer au marché mondial.

L’effondrement de l'URSS allait accélérer le mouvement. Elle ouvrait de nouveaux terrains d'action aux capitaux, au sein des pays de l'ancien bloc de l’Est mais aussi dans tous les pays pauvres que l’existence de l’URSS avait, de fait, aidés à résister à la pénétration des multinationales.

« Fin de l’histoire » et « nouvel ordre mondial »…

Des années d’euphorie capitaliste suivirent la réunification allemande et la dissolution de l’URSS, glorifiant le capitalisme triomphant à l’échelle de la planète et le « nouvel ordre mondial » promis par Bush père. L’économiste américain Fukuyama, dans son essai « La Fin de l'histoire et le dernier homme », décrivait « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain », « le point final de l’évolution idéologique de l’humanité ». Dans un monde désormais uni par le marché, plus de place pour les « idéologies ». Mais la réalité des rapports de domination capitaliste et du nouvel ordre mondial n’allait pas tarder à éclater au Moyen Orient.

En août 1990, prenant prétexte de l’annexion du Koweït par Saddam Hussein, les USA pénétraient en Irak à la tête d’une coalition internationale, dont faisait partie l’URSS agonisante de Gorbatchev. Avec l'opération « tempête du désert », les USA et leurs alliés prenaient position pour longtemps dans une région qu’ils allaient mettre à feu et à sang.

Le 6 mars 1991, Bush annonçait devant le congrès américain « La guerre est finie. C'est une victoire […] Que ce soit clair : nos intérêts nationaux dépendent d’un Golfe stable et sûr […] nous devons favoriser le développement économique pour le bien de la paix et du progrès. Le golfe Persique et le Moyen-Orient forment une région riche en ressources naturelles avec un potentiel humain riche mais inexploité […] Maintenant nous pouvons voir venir un nouveau monde […] Un monde dans lequel les Nations unies, libérées de l’impasse de la guerre froide, sont en mesure de réaliser la vision historique de leurs fondateurs […] La guerre du Golfe est le premier test de ce monde nouveau ».

Cette vision historique, c’était celle des vainqueurs de la seconde guerre impérialiste mondiale. Ils avaient jusqu’alors dû composer avec l'URSS qui acceptait de faire la police contre les peuples et les travailleurs... La guerre froide terminée, la guerre du Golfe était un des premiers actes de ce monde nouveau, le début d’un chaos meurtrier.

La nouvelle phase de mondialisation capitaliste s’accompagnait de la mondialisation de la guerre, du Moyen Orient à l’Afrique en passant par l’Europe. Dans cette dernière, les appétits et les rivalités, aiguisés par les nouveaux terrains qui s’ouvraient aux investissements à l’Est, accélérèrent la dislocation de la Yougoslavie et la guerre dans les Balkans qui fit plus de 150 000 morts entre 1991 et 2001.

Accentuation de l’offensive libérale et de la financiarisation

Durant les dix années qui suivirent l’effondrement de l’URSS, l’offensive libérale et impérialiste s’accentua contre les peuples et les travailleurs sous l’hégémonie des USA.

En 1995, les accords de l’OMC -128 pays- entérinaient la libéralisation complète des marchés des matières premières, des biens manufacturés et des capitaux. Ils imposaient la fin du monopole des entreprises publiques et l'ouverture des marchés publics à la concurrence et aux entreprises étrangères.

Le mouvement de concentration de la production et de la finance internationales s’accélérait. Nombre de pays pauvres étaient intégrés à marche forcée au marché mondial, pillés par la dette et les multinationales qui y déployaient une partie de leur production pour y exploiter une main d’œuvre sous-payée, imposant leur loi aux États avec l’aide du FMI et de la banque mondiale, y soutenant les pires dictatures pour maintenir l’ordre et la misère.

La mondialisation capitaliste intensifiait l’exploitation et exacerbait la concurrence et les rivalités. Pour faire face aux USA mais aussi aux nouveaux « tigres » d’Asie, une Europe de la finance et de la BCE se mit en place, dont le traité de Maastricht en 1992 puis l’euro en 99 furent des étapes.

En 1997, une crise financière secouait les Bourses asiatiques, entraînant une grave récession payée par les classes populaires et les travailleurs. Alors que les capitaux rapatriés d’Asie inondaient les bourses européennes et US, un nouvel accord de l’OMC libéralisait un peu plus les activités financières internationales. « Cet accord va contribuer à restaurer la confiance en Asie et offrir d'importantes possibilités pour l'Europe et les États-Unis » déclarait alors Sir Brittan, négociateur pour l'Union européenne. La bulle spéculative pouvait continuer de gonfler.

Les bouleversements économiques et la fin de l’existence de l’URSS déstabilisaient les vieux rapports de domination impérialistes dépassés. Dans les anciens pays coloniaux désormais ouverts sans entrave à la pénétration des capitaux, de nouvelles puissances économiques « émergeaient » dans un océan de pauvreté, en Asie la Chine, en Amérique latine le Brésil, l’Argentine, le Mexique où les multinationales US implantaient leurs usines près de la frontière, mettant en concurrence travailleurs mexicains et nord américains. L’instabilité augmentait au Moyen et Proche Orient, régions stratégiques convoitées, riches de ressources pétrolières. Les USA y instrumentalisant et soutenant, armant, finançant les pires régimes réactionnaires et groupes islamistes radicaux tout en jouant de leurs rivalités… au nom de la liberté, de la paix et de la démocratie.

11 septembre 2001, le nouveau basculement du monde

Le 11 septembre 2001 au matin, les tours jumelles s’effondraient au cœur du centre financier des USA, le Pentagone était touché, un avion s’écrasait avant d’atteindre la Maison Blanche. L’impérialisme dominant, la première puissance financière mondiale était touchée sur son sol, défiée par ses propres créatures qu’il avait lui-même subventionnées.

Ben Laden était l’homme des USA dans la guerre qui avait déchiré l’Afghanistan contre l'occupation par l'URSS entre 1979 et 89. Financé, armé, conseillé par la CIA et divers services de renseignement occidentaux, il était soutenu par l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Pakistan... Son réseau Al-Qaïda avait envoyé des vétérans d’Afghanistan combattre en Tchétchénie, en Yougoslavie... Les USA le lâchèrent finalement en 1991, ne faisant pas appel à lui pendant la guerre d’Irak, préférant stationner leurs troupes en Arabie saoudite. Il se retourna alors contre eux et tissa son réseau djihadiste au gré des opportunités, du Soudan à l’Iran, la Syrie, la Bosnie...

Le 11 septembre 2001, les attentats frappaient les esprits dans le monde entier, expression et révélateurs de la fin d’une période, un basculement du monde dans lequel était contestée l’hégémonie économique et politique des USA.

Le 7 octobre, Bush lançait l’offensive en Afghanistan contre les talibans. Au-delà de Ben Laden, elle visait à essayer de faire du pays une place forte américaine pour contrôler la région et garantir la domination US. A ceux qui s’inquiétaient des conséquences, Condoleezza Rice, conseillère à la sécurité nationale de Bush, répondait « On veut donner un grand coup de pied dans l’échiquier, et on verra comment les pièces retombent ». Peu importe le prix payé par les peuples, le risque d’engrenage et de chaos. Commençait alors la politique du « choc des civilisations », la « croisade du bien contre le mal ». Dix ans après la fin de l’URSS, le terrorisme islamique était devenu un nouvel épouvantail et une nouvelle justification de leurs interventions. En 2003, la seconde guerre en Irak contre Saddam Hussein amplifiait l’embrasement de la région, intensifiant destructions, barbarie, humiliations, un terrain sur lequel allaient se développer les nouvelles puissances régionales Al Qaîda puis Daesh.

Tournant de 2008, le capitalisme financier mondialisé, « bien creusé vieille taupe ! »...

En 2007 éclatait aux USA la crise des subprimes, ces prêts à taux scandaleux accordés aux familles modestes américaines largement endettées. Des crédits qui faisaient la fortune des banques, des promoteurs qui construisaient de façon effrénée, et des financiers qui s’en rachetaient les titres… jusqu’à ce que la « bulle » explose, que les défauts de paiement se multiplient et que la panique se généralise, laissant des milliers de familles ruinées, expulsées de leurs maisons dont ils ne pouvaient payer les intérêts. Dans le temple de la finance mondiale, des villes entières telle Détroit furent transformées en fantômes. En quelques mois, le système bancaire international était emporté dans la tourmente, le géant Lehmann Brothers faisait faillite en septembre 2008.

Les subprimes furent le facteur déclenchant d’une crise qu’ils avaient contribué à masquer un temps, permettant que la consommation se maintienne, jusqu’au krach. Cette crise était l’expression du capitalisme financiarisé, mondialisé, qui avait pénétré l’ensemble de la planète faisant dépendre toute activité humaine de sa capacité à générer du profit, portant à son plus haut niveau son caractère parasitaire. Au lendemain de la crise de 2008, les gouvernements des principales puissances financières injectèrent des milliards pour tenter de soutenir le système financier et l’industrie, en particulier automobile… Ils en ont présenté la facture aux travailleurs et aux peuples du monde entier, imposant par le FMI d’impitoyables plans d’austérité comme en Grèce. Des mesures aux conséquences dramatiques pour les classes populaires et qui ne pouvaient en aucune manière répondre à la crise. Au contraire, elles aggravaient les contradictions qui en étaient à l’origine, la dichotomie entre les possibilités matérielles, l’essor des sciences et des techniques, et l’appropriation de l’ensemble des richesses produites par une minorité parasite, la finance internationale.

Les contradictions entre les forces productives et le mode de propriété n’ont jamais été aussi aiguës, insupportables, porteuses d’une crise permanente. Pour reprendre l’expression de François Chesnais « Nous atteignons un point crucial dans l’histoire du monde, celui où le capitalisme atteint ses limites absolues ».

« Bien creusé, vieille taupe » écrivait Marx au lendemain de l’écrasement de la révolution de 1848 pour dire qu’au-delà de la défaite, le processus révolutionnaire poursuit son œuvre. Les triomphes du moment préparent des fins sans gloire… Trente ans après la disparition de l’URSS, le capitalisme mondialisé financiarisé ne peut se maintenir qu’en intensifiant sans fin la guerre faite aux peuples, aux travailleurs, pour aspirer la moindre goutte de plus-value d’un bout à l’autre de la planète. Cette quête perpétuelle, violente, destructrice, exacerbe les rivalités économiques, politiques et militaires entre les principales puissances ainsi qu’entre les puissances régionales d’un monde devenu multipolaire, où l’hégémonie des USA est aujourd’hui menacée par la Chine.

Dans le monde entier, les classes dominantes ne peuvent maintenir leur pouvoir qu’à travers des régimes et des gouvernements de plus en plus autoritaires, anti-démocratiques, dont les politiques nourrissent la montée de la contestation sociale et politique.

Cette offensive souvent menée par des régimes populistes d’extrême droite, nationalistes et xénophobes, ne peut empêcher la contestation et l’explosion des révoltes. Après la phase ouverte par les révolutions arabes en 2011, les révoltes de la jeunesse et des travailleurs qui éclatent aujourd’hui du Chili à l’Irak, l’Algérie, Hong Kong, l’Iran, Haïti, le Soudan, les mobilisations internationales de la jeunesse pour le climat, celle des femmes contre les violences et l’oppression… ou en France le mouvement des gilets jaunes et la généralisation des luttes en germe, posent la question sociale et politique, celle de la démocratie, de qui dirige, c’est à dire de la conquête du pouvoir par les masses.

Les échecs du passé sont, en réalité, des phases de maturation du processus révolutionnaire, des conditions nécessaires à la prise de conscience des acteurs de la transformation de la société de leur rôle, de leur capacité, de l’impérieuse nécessité de changer le monde.

« Bien creusé vieille taupe ». Le processus poursuit son œuvre et prépare les conditions objectives et subjectives d’une nouvelle révolution, internationale, dont la puissance et le rayonnement poursuivront l’œuvre accomplie par la vague révolutionnaire de 1917 pour libérer l'humanité de la domination de classe.

Isabelle Ufferte

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