Bien des esprits éclairés, commentateurs ou politiciens, tout en étant alarmistes cherchent à se rassurer ou à rassurer l’opinion, relativisant le sens et la portée de la guerre commerciale qui ébranle le capitalisme mondial. Ainsi, l’éditorial du Figaro du 14/04 écrivait : « La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump donne à voir un spectacle fascinant : une crise économique et financière mondiale créée de toutes pièces. » Comme si la crise financière n’était pas le produit de la suraccumulation de capital fictif, spéculatif qui ne trouve pas dans une économie en berne suffisamment de profits pour nourrir ses appétits sans limite. Par la magie du verbe, le grotesque dictateur que les mêmes qualifient d’inculte devient le démiurge qui plonge le monde dans les ténèbres laissant croire ou espérer qu’un autre horizon serait possible ou du moins que l’Europe pourrait le contrer… Il en va de même en ce qui concerne la guerre. Les mêmes qui se font les champions du réarmement et prônent, à la manière de Trump, la réindustrialisation par la relocalisation et le réarmement, inventent le récit d’une guerre d’Ukraine qui ne serait due qu’à Poutine et d’une guerre d’Israël dont le Hamas serait le seul coupable accusant avec une grande retenue Netanyahou d’excès dans la fureur guerrière tout en soutenant le sionisme, en s’y soumettant.
La brutale volte-face de Trump met à nu la propagande mensongère de ses prédécesseurs au profit d’une propagande tout aussi mensongère faisant l’éloge du protectionnisme et de la guerre supposés protéger les intérêts des travailleurs et des classes populaires ! La crise politique mondialisée qu’elle provoque disqualifie les discours des uns et des autres révélant leur cynisme et leur impuissance à maîtriser leur propre système hors contrôle. Elle est le produit de la stratégie des USA développée depuis Obama au lendemain de la grande récession de 2007-2008, poursuivie par Trump puis Biden, une stratégie de défense de Wall Street et du Pentagone qui ne peut plus masquer ni ses objectifs ni sa brutalité, « la paix par la force », stratégie orwellienne, si tu veux la paix, fais la guerre !
Et pour masquer la logique prédatrice et destructrice de leur système ses apologistes attribuent sa marche aveugle, désordonnée, brutale à la folie de quelques hommes dont dépendrait le sort de la planète alors que c’est le système qui les sélectionne et les fabrique pour servir une oligarchie capitaliste dont ils sont les instruments et les serviteurs.
La guerre commerciale et la furie militariste qui s’empare des classes dominantes sont un seul et même processus au sein d’un capitalisme en déroute.
De la poursuite du génocide du peuple palestinien à la menace de guerre contre l’Iran
Le drame du peuple palestinien broyé par l’implacable logique du militarisme qui constitue une constante de l’axe de la politique étrangère des USA en est la cruelle illustration, le martyre sans fin d’un peuple sacrifié aux ambitions impérialistes des USA dont Israël est l’instrument pour contrôler le Moyen-Orient et le pétrole.
La poursuite infernale de la guerre génocidaire d’Israël, l’élargissement de la guerre au Liban, au Yemen, les menaces sur l’Iran sont la conséquence de la continuation de cette politique par l’offensive globale des USA sur le terrain économique et militaire.
L’horreur de la guerre, les bombardements, les attaques terrestres de l’armée israélienne ont déjà tué, officiellement et sans aucun doute beaucoup plus, 53 000 Palestiniens. La bande de Gaza devenue un champ de ruine, est le terrain de nouveaux drames. Depuis le 2 mars toutes les livraisons d’aide alimentaire à Gaza ont cessé. Privés de tout, les survivants cherchent à échapper à la faim, aux maladies, dans des camps de toile sans eau potable, sans électricité, sans égouts. Et ils ont à nouveau été sommés de se déplacer, comme à Rafah, où Netanyahou veut, dit-il, « saisir de larges zones », 30 % du territoire qu’il a l’intention de réoccuper afin d’y implanter des « zones de sécurité ».
La coopération active des USA, au-delà de la complicité, est évidente. L’implication pleine et entière d’Israël à leurs côtés dans les négociations qui ont commencé la semaine dernière avec l’Iran sur le nucléaire en est la démonstration. « S’il faut recourir à la force, nous recourrons à la force. Israël y sera bien évidemment très impliqué, il en sera le chef de file », a tenu à souligner Trump.
Les dites négociations avec l’Iran visent à servir de justification à une éventuelle intervention militaire à moins que la fragilité de la dictature des Mollahs les contraigne à se soumettre au plan américano-israélien. Un tel accord ne serait en rien un pas vers la paix. Si l'Iran capitulait devant les exigences de Trump et Netanyahou, arrêtant son programme nucléaire et ses relations avec la Russie et la Chine, ce ne serait pour les USA qu’un point d’appui pour avancer leurs pions dans la confrontation avec la Chine et la Russie.
Le faux semblant des négociations sans issue dans la guerre sans fin d’Ukraine
Les négociations avec Poutine initiées mi-février par Trump sont un autre moment, sur le front européen, de cette guerre globale où se négocient les rapports des USA avec la Russie vis-à-vis de la Chine, la possibilité de piller l’Ukraine. Là aussi, ce n’est pas la paix qui se négocie mais la continuation de la guerre en fonction de l’État du front. Le rapport de force se construit et se mesure sur tous les terrains, la guerre est globale, économique, financière, militaire et politique.
Le cynisme de Trump rendant l’Ukraine responsable de la guerre est d’autant plus choquant que ce sont bien les USA qui en sont à l’origine quelles que soient les responsabilités de Zelensky et des oligarques ukrainiens qui ont fait le choix de se ranger dans le camp des grandes puissances occidentales, des USA et de l’Otan, pour faire valoir leurs propres intérêts en se prêtant à leur escalade contre les ambitions grand-russes de Poutine.
L’histoire éclaire les objectifs actuels de la guerre douanière et de la pression militariste de Trump, enrôler les puissances secondaires, régionales ou locales à leur dispositif géostratégique.
Suite à la rencontre à Paris jeudi avec le secrétaire d’État américain Rubio et l’émissaire spécial de Trump, Witkoff, le ministre français des Affaires étrangères s’est félicité, « la nouveauté, c'est que les Etats-Unis, l'Ukraine et les Européens se sont retrouvés ensemble autour d'une même table ». Dans les faits, Macron, empressé, poursuit avec ténacité sa politique pour que la France et les puissances européennes, jusqu’alors maintenues à l’écart des négociations, trouvent leur place dans la stratégie des USA qui veulent sous-traiter l’offensive militaire contre la Russie aux puissances européennes « volontaires ».
Trump soutient un accord de paix à condition que Kiev donne aux USA un accès aux matières premières ukrainiennes et que Poutine accepte d’ouvrir des débouchés commerciaux aux entreprises américaines. L’Allemagne pourrait en profiter pour réactiver son approvisionnement en gaz russe par un accord impliquant les USA. Faute d’avancée dans ce sens, Trump a annoncé qu’il se dégagerait des négociations comme de la guerre qu’ils ont eux-mêmes provoquée.
Ces négociations de la « paix » ne les intéressent que si elles peuvent leur être utiles dans le cadre de leur guerre globale pour perpétuer leur hégémonie, peu leur importe d’engendrer le chaos au prix de terribles souffrances pour les populations. La stratégie du chaos faisait déjà partie de la politique de Bush.
Le rêve d’empire américain emporté dans le cauchemar de son déclin
L’offensive commerciale, économique et militaire des USA n’est pas le fruit d’on ne sait quelle parano de Trump et des voyous qui constituent sa clique mais obéit à la logique des contradictions auxquelles le capital américain est confronté, au développement de la lutte des classes conditionné par la production et l’appropriation des richesses.
Pour les marxistes, ce sont les mécanismes de la lutte des classes, les rapports de force qui façonnent la mentalité des classes dominantes, leur dictent leur politique, sélectionnent les politiciens et qui constituent aussi l’ensemble des éléments à partir desquels la conscience des classes exploitées évolue.
Après l’effondrement de l’URSS, la classe dominante américaine se voyait dominer le monde, soumettre les peuples à ses intérêts par la force de l’économie de marché, du dollar et du Pentagone, ainsi que le disait Biden avant Trump, « Faire en sorte que l’Amérique, encore une fois, guide le monde ».
Le rêve a laissé la place au cauchemar des défaites militaires et de la concurrence mondialisée alors que, malgré leur puissance, les États-Unis ne représentent plus que 23 % du PIB et moins de 10 % du commerce mondial.
« Pour continuer à fournir ces deux biens publics mondiaux — l’accès à la sécurité et l’accès à la finance — j’estime qu’il faut un meilleur partage du fardeau à l’échelle mondiale » déclarait Trump pour justifier la guerre douanière. L’armée et le capital sont pour lui des biens publics puisqu’ils assurent la domination de l’oligarchie dont il défend les intérêts.
Le partage du fardeau signifie intégrer à l’économie et à la domination financière et militaire de Wall Street le maximum de pays en fonction d’accords bilatéraux dont les USA auraient la maîtrise ou par l’annexion. Trump confirme qu’il veut s’emparer du Groenland « d’une manière ou d’une autre ». Il répète à l’envi que le Canada doit devenir le 51ème État des États-Unis et il entame une guerre douanière pour tenter d’asphyxier son économie et lui forcer la main…. Cette politique brutale et unilatérale aura les effets inverses à ceux recherchés. Elle décrédibilise les USA devenus facteur de crise et d’instabilité et fait de la Chine un pôle de stabilité non seulement en Asie mais au-delà.
La fuite en avant du capitalisme américain pour affronter la concurrence mondiale et la Chine conduit inévitablement à un échec. Non seulement les USA seront contraints d’acter la fin de leur domination, de se plier à la réalité d’un monde multipolaire mais Trump accélère la décomposition du capitalisme américain, entraîne les puissances européennes dans leur faillite au risque de provoquer une crise financière et économique mondiale, terrain d’une menace de mondialisation de la guerre.
Contre la guerre commerciale et militaire, une politique internationaliste pour les Etats-Unis socialistes d’Europe
L’offensive internationale du capitalisme prédateur est indissociable de la guerre de classe que mène Trump en imposant une dictature réactionnaire alors que les effets économiques et sociaux de sa politique se retournent déjà contre les salariés et les classes populaires, la jeunesse, les femmes, les minorités, les migrants. Il met en place sa dictature, s’attaque à la liberté d’expression mais aussi à la liberté de la science, de la pensée.
La concurrence économique, le militarisme entraînent nécessairement l’autoritarisme, la dictature, un nouveau fascisme en germe aux USA et en Europe contre les travailleurs, les femmes, la jeunesse, menacent l’environnement et amplifient le risque nucléaire.
Les convulsions des vieilles puissances impérialistes pourraient à la fois les paralyser, la décomposition sociale qui les mine de l’intérieur les priver de la capacité de faire face à la concurrence venue d’Asie et ouvrir des possibilités révolutionnaires pour le prolétariat tant en Europe qu’aux USA.
Il y a de bonnes raisons d’imaginer que la déroute de l’agression de Trump face à toute la planète retournera le prolétariat américain contre lui et les appareils qui se sont prêtés à la folie du protectionnisme et du nationalisme et ont contribué à répandre dans la classe ouvrière et la jeunesse le poison du chauvinisme et du patriotisme. La faillite des USA dans leur projet fou sera aussi celui des vieilles bourgeoisies européennes et il reviendra aux travailleurs du vieux continent de réaliser ce dont les classes exploiteuses ont été incapables, rivales entre elles, trop attachées à leurs privilèges et à leur État, s’unir par-delà les frontières pour construire les Etats-Unis socialistes d’Europe, une Europe de la coopération des peuples, d’une paix démocratique respectant les droits à l’autodétermination vers la mondialisation de la planification et du socialisme.
Yvan Lemaitre



