Trump a renoncé, pour les 75 pays qui « ont cherché à négocier une solution », à l’application des droits de douane qui rentraient en application mercredi annonçant une pause de 90 jours tout en maintenant un taux minimum uniforme de 10 %. Par contre, il a continué l’escalade jusqu’à 145 % de hausse des tarifs douaniers, un véritable embargo, contre la Chine accusée de lui « avoir manqué de respect » en décidant de répondre à l’agression. Depuis jeudi, les surtaxes de rétorsion de 120 % annoncées par Pékin s’appliquent à tous les produits américains entrant sur le territoire chinois. Puis, nouvelle reculade de Trump face au « sept magnifiques » de la High Tech, Musk and co, les ordinateurs, les smartphones et les cartes mémoires seront exemptés de surtaxes...
La panique boursière que Trump avait provoquée aux USA et à travers le monde, panique de la finance qui craignait une récession, l’a obligé à marquer un temps d’arrêt. « Il faut être flexible », a-t-il expliqué en justifiant son geste. Les bourses sont reparties à la hausse, l’occasion de faire de bonnes affaires – les milliardaires bien informés dont les proches de Trump auraient empoché 304 milliards de dollars- avant de rechuter, qu’en sera-t-il demain, personne ne sait. L’instabilité boursière a des origines profondes au cœur même de l’évolution du capitalisme financiarisé.
Le recul de Trump fait partie du jeu macabre des négociations entre brigands capitalistes. Il exprime la prise en compte d’un rapport de force dans le cadre d’une stratégie globale que les USA n’ont nullement l’intention d’abandonner. Elle obéit à la logique des rapports de forces entre les nations et entre les classes qui est le moteur de la politique de Trump comme de toutes les puissances capitalistes : extraire le maximum de plus-value possible de l’exploitation du travail et de la guerre économique pour la partager entre capitalistes.
Sa méthode de négociation publique et sans fard, conséquence et mise en scène d’une politique délibérément agressive, surprend et donne à croire à son imprévisibilité. Sa dite irrationalité est très cohérente ! Elle rompt avec les négociations feutrées du fait que la concurrence entre capitalistes ainsi que les rapports d’exploitation des travailleurs et des peuples sont entrés dans une économie de guerre.
Si Trump s’est montré accommodant avec les pays prêts à négocier, il a surenchéri contre la Chine, son ennemi principal, cible autour de laquelle s’organise la guerre commerciale indissociable des préparatifs d’une éventuelle guerre militaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de nouveaux rebondissements avec la Chine du fait des liens de dépendance économique réciproques des USA avec elle.
A travers les négociations commerciales ainsi que par les guerres d’Ukraine et du Moyen-Orient s’ébauchent les alliances économico-militaires des affrontements à venir. Leurs rythme et aléas s’écrivent en marchant mais elles conduisent à une exacerbation des tensions, au risque de krach, de récession, de guerre et, plus globalement, à la faillite du capitalisme.
La logique destructrice du capitalisme financiarisé mondialisé
C’’est en fonction de cette logique capitaliste que se définit la stratégie du mouvement ouvrier jusqu’alors déboussolé et sans réponse mais qui reste la seule force capable d’enrayer le processus en cours dont l’épisode de la semaine dernière a montré à la face du monde le danger qu’il représentait pour l’humanité.
Cette logique, c’est celle de l’exploitation du prolétariat et la lutte pour l’appropriation privée des richesses produites, appropriation privée dont les Etats sont l’instrument pour le compte de leurs capitalistes par les armes du protectionnisme, de la course à la rentabilité, des politiques militaires voire par la guerre. Les prolétaires sont les soldats de cette bataille qui se fait contre eux.
Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que cette bataille est de plus en plus acharnée, féroce et absurde de par le développement même du capitalisme qui se heurte aux limites du marché après des décennies de développement à marche forcée sous le fouet de la course à la rentabilité financière.
La panique boursière déclenchée par les déclarations de Trump du 2 avril, sans doute le premier krach de l’histoire qui a entraîné l’ensemble des places boursières de la planète de façon aussi brutale et rapide, a effacé environ 10 000 milliards de dollars de capitalisation.
La capitalisation boursière des Etats-Unis est de 55 000 milliards de dollars, soit 190 % de son PIB, la capitalisation boursière de l’Union européenne 10 200 milliards de dollars, soit 50 % de son produit intérieur brut.
Ces masses énormes de capitaux objets des spéculations des groupes financiers et des multinationales, capital fictif étranger aux investissements productifs, ont pris l’activité économique mondiale dans un réseau de dépendance et de soumission inextricable qui l’étouffe, la parasite et menace de la ruiner.
Si cette panique a été déclenchée par Trump, ses mécanismes et son origine sont ailleurs. L’épisode momentanément surmonté, elle peut se reproduire à tout moment tellement les équilibres financiers de la planète sont fragiles. Ainsi que l’écrit Romaric Godin dans Médiapart [i], « il est important, à cet instant, de ne pas confondre l’élément déclencheur de la crise avec la crise elle-même. En 2008, la crise financière n’était pas une crise des subprimes, c’était la crise de la financiarisation de l’économie menée comme contre-tendance depuis les années 1980 à l’affaiblissement des gains de productivité. Cette fois encore, Donald Trump n’est que le déclencheur. La croissance états-unienne ne tenait en grande partie que grâce aux dépenses contraintes, notamment dans le système de santé privé, et au soutien de l’État. » Cette croissance financière est mue par la perspective de prélever sa dîme sur les richesses produites, de se l’approprier au détriment de toute la société pour continuer son activité parasite aux appétits sans limite. Si les profits ou l’espoir de profits ne sont pas aux rendez-vous, c’est le krach.
Le décalage entre le développement des capitaux fictifs, objets des spéculations boursières, et la stagnation économique voire la récession annoncée y conduisent inévitablement.
Les convulsions de l’empire américain, l’impossible super-impérialisme
La politique de Trump semble folle parce qu’elle met à nu les vrais ressorts de l’économie mondiale, la logique de la loi du plus fort qui régit les relations entre nations et les exacerbe. Sa folie est la rationalité du système que les dirigeants de ce monde tentent de masquer.
La politique de Trump rompt avec ces faux semblants et ces mensonges d’État pour les besoins de sa stratégie qui s’inscrit dans la même folle rationalité que la guerre par procuration contre la Russie, la politique de réarmement prônée par Macron et les dirigeants européens, la fièvre militariste qui s’empare des classes dirigeantes. Pour les besoins aussi de son pouvoir qui repose sur sa capacité à sidérer l’opinion, à être imprévisible, à ne craindre aucun revirement, pour subjuguer tant ses soutiens que ses ennemis...
Le Trump de 2016 n’était pas un accident électoral, le Trump d’aujourd’hui n’est pas un accident de l’histoire. Il en est le produit et l’acteur pour mettre en œuvre ce qui a toujours été la politique du capitalisme américain, la guerre commerciale, monétaire, la force du dollar et de son armée dans un moment charnière de l’histoire où le capitalisme a épuisé ses capacités de développement et en est rendu à renforcer sa politique prédatrice, de pillage et de guerre.
Les USA se sont développés sans frein à travers la mondialisation financière qu’ils ont imposée au monde par la force du dollar, de leur armée et de leur technologie pour relever les profits entraînant la planète dans leur folle sarabande.
Les multinationales ont conquis de nouveaux marchés à l’étranger, en rapatriant des bénéfices réalisés grâce à l’exploitation d’un jeune prolétariat, soutier de la mondialisation, grâce aux délocalisations et des destructions massives d’emplois industriels en Occident, qui se sont accompagnées d’une forte hausse du chômage.
Alors que les vieilles puissances capitalistes accumulaient des masses de capitaux « exubérantes », le développement économique, technologique des anciens pays coloniaux au premier rang desquels la Chine construisait de puissantes économies capables de rentrer en concurrence avec leurs exploiteurs ancestraux dont ils ont subi pendant des siècles le pillage.
Nous sommes arrivés à un point de bascule, de rupture
Les USA et ces vieilles puissances ne sont plus en mesure d’affronter la concurrence de leurs rivaux capitalistes. La première puissance mondiale ne peut s’imposer comme super-impérialisme au reste de la planète, sa domination est dépassée et contestée, en déclin. Dans l’univers capitaliste de la « paix par la force », sa politique devient agressive commercialement, militariste.
Mener cette guerre suppose d’en avoir les moyens économiques donc de reconstruire une souveraineté économique, c’est-à-dire d’avoir la maîtrise et le contrôle de toutes les productions essentielles indispensables à la guerre, ce que Trump tout comme Macron et l’UE appellent la « réindustrialisation ».
Les objectifs de Trump ne sont « illisibles » que pour ceux qui ne veulent pas voir ou ne peuvent voir parce qu’ils sont aveuglés par la défense et justification du système capitaliste. Ils sont triples : affaiblir ses adversaires, créer des liens forts de vassalité avec ses alliés dont l’Europe, réindustrialiser, c’est-à-dire avoir la maîtrise de son économie de guerre sans oublier de préparer l’opinion.
L’organisation d’une économie de guerre contre la Chine
Il est évident que cette réorganisation globale des relations entre les Etats capitalistes ne peut se faire par un simple décret douanier au regard des relations d’interdépendance économique que les pays ont tissées. Les échanges entre la Chine et les USA représentent 40 % de l’économie mondiale.
Trump entend provoquer un choc, engager une dynamique et voir.
Cette politique n’est pas une surprise. Le jour de son investiture, Trump a signé un mémorandum, « Politique commerciale America First », disant que son « administration considère la politique commerciale comme un élément essentiel de la sécurité nationale ». Dans le décret présidentiel du 2 avril, Trump indique : « J’ai déclaré l’état d’urgence nationale en raison des conditions qui se traduisent par des déficits commerciaux annuels importants et persistants des États-Unis, qui ont augmenté de plus de 40 % au cours des 5 dernières années seulement. »
« Une nation qui ne produit pas de produits manufacturés ne peut pas maintenir la base industrielle dont elle a besoin pour sa sécurité nationale. […] Il est également essentiel d’accroître la capacité de production du secteur industriel de la défense afin de pouvoir fabriquer le matériel et les équipements de défense nécessaires à la protection des intérêts américains, tant sur le plan national qu’international. En effet, les États-Unis ayant fourni une quantité importante d’équipements militaires à d’autres pays, leurs stocks de matériel militaire sont trop faibles pour être compatibles avec les intérêts de défense nationale des États-Unis. »
Les choses sont clairement dites, la politique des tarifs douaniers, de la guerre commerciale participe de la mise en place d’une économie de guerre.
Guerres douanières et panique boursière, le remède aggrave le mal et conduit à la faillite
Avant de reculer Trump déclarait sur son réseau : « Parfois, vous devez prendre un médicament pour résoudre un problème ». Il exhortait à tenir bon contre « le parti des paniquards fait de gens stupides et faibles, soyez forts, patients et courageux. » Par ces mots Trump a bien conscience que sa thérapie de choc entraînera des dégâts pour les travailleurs et les classes populaires mais aussi parmi ceux qui détiennent l’économie et la finance.
Il ne peut en être autrement. La transition du capitalisme qui s’est développée par et à travers la mondialisation financière vers l’économie de guerre sera nécessairement une agression contre les travailleur.es des USA et du monde mais aussi elle aura un coût considérable pour le capital lui-même.
Trump le sait quand il dit : « La transition aura un coût et posera des problèmes, mais en fin de compte, ça sera une bonne chose », mais il se trompe quand il se croit le sauveur du capitalisme américain. Il est le symbole grotesque et l’acteur pathétique de sa décadence.
Trump et sa bande de voyous agissent à courte vue sans compréhension de l’histoire, à l’aveugle par réflexes capitalistes, l’application des rapports les plus brutaux à la gestion des relations entre groupes et nations à l’échelle mondiale.
Ils en connaissent le coût et les risques mais n’ont pas d’autres traitements face à la sénilité du malade étouffé par une hypertrophie de capitaux sans perspective de profit.
Les Etats désarmés par leur dette auprès de la finance…
Le krach et la récession qui s’annoncent auront des effets d’autant plus dévastateurs que les États n’ont cessé d’accroître leur dette depuis la crise de 2008-2009 pour renflouer et subventionner les profits.
La dette mondiale a encore augmenté de 7 000 milliards de dollars en 2024 et elle a atteint en fin d’année dernière le niveau record de 318 000 milliards de dollars. La croissance économique ralentissant, la dette totale en proportion du produit intérieur brut (PIB) a également recommencé à augmenter, et ce pour la première fois depuis 2020, année du Covid. Elle représente aujourd’hui 328 % du PIB mondial.
Dans cet environnement, les gouvernements soumis à une augmentation de la charge de la dette devront faire face à la hausse des taux d’intérêt alors que tous s’engagent dans une politique de réarmement sans en avoir les moyens financiers et économiques. Eux aussi marchent à la faillite.
Les bons du Trésor américain, valeur refuge perçue comme l’actif le plus sûr, ont brutalement augmenté en réponse aux anticipations d’effondrement de la demande étrangère. Un mouvement de défiance inédit pour une dette aussi sûre que celle des États-Unis, dont le marché s’élève à plus de 30 000 milliards de dollars. Celui-ci n’épargnera pas le dollar, pilier du système monétaire et financier international depuis 1971 et instrument de la domination américaine aujourd’hui contesté.
Autant dire que les Etats, au premier rang d’entre eux, celui des USA, n’auront pas les moyens de la politique de subventions à fonds perdus qui leur a permis de sauver le système de l’effondrement en 2008-2009.
L’avenir est entre les mains du prolétariat
De la stagflation à la récession, la marche à la déroute du capitalisme prépare une puissante montée de la lutte de classe à travers le monde, seule réponse progressiste à sa faillite.
Le mouvement de révolte « Hands off » qui a surgi la semaine dernière aux USA ouvre la voie vers cet affrontement nécessaire entre le capitalisme en décomposition et les forces neuves, jeunes du prolétariat aux USA, en Chine comme dans la vieille Europe.
A l’image du Parti démocrate ou des sommets de la bureaucratie syndicale passifs ou complices de Trump, soucieux d’étouffer, de canaliser la révolte populaire, ici, la gauche parlementaire et syndicale se plie au militarisme et désarme toute opposition à la guerre. Ils ne pourront empêcher les mobilisations, la révolte, les soulèvements à venir qui se feront contre eux.
La vague d’opposition qui a révélé la profonde hostilité à l’égard de Trump et du système capitaliste, le mouvement qui est descendu dans la rue le 5 avril aux USA n’en est qu’à ses débuts. Il est encore un mouvement de protestation spontanée sans programme politique. La classe ouvrière n’y est pas intervenue en tant que force indépendante et consciente, motrice. Elle est encore comme ici prisonnière de la domination idéologique du système, a besoin de clarification politique, de prendre conscience que sa rupture avec les Démocrates appelle la constitution d’un parti fondé sur la compréhension que la folie qui bouleverse les USA et le monde ne dépend pas de quelques dirigeants dictateurs ou tyrans mais qu’elle est le symptôme, la conséquence de l’effondrement historique du système capitaliste.
Elle se convaincra à travers les batailles à venir qu’il n’y a pas d’issue sans renverser le système pour liquider l’économie de marché et sa folie destructrice, planifier la production et les échanges sous le contrôle des producteurs eux-mêmes et de la population.
Yvan Lemaitre
[i] https://www.mediapart.fr/journal/international/070425/les-marches-financiers-sous-la-pression-de-donald-trump



