L’indignation de Le Pen et de ses complices du RN autour de leur condamnation pour détournement de fonds publics européens, 4,6 millions d’euros, ne manque pas d’humour. Eux qui se faisaient les champions de la probité, « mains propres et tête haute », et du durcissement des lois jusqu’à l’inéligibilité à vie pour les politiciens pris la main dans le sac, sont rattrapés par la justice. Marine Le Pen est déclarée inéligible pour cinq ans avec « exécution provisoire » mais néanmoins immédiate, ce qui compromet sérieusement pour elle la course à la présidentielle de 2027.

L’extrême-droite crie au complot, à une justice « partiale et politique ». Bardella a dénoncé une « exécution » par des « juges rouges corrompus »… Le petit lieutenant à la recherche de ses galons, J-P. Tanguy s’est déchaîné à l’Assemblée contre « un quarteron de procureurs et de juges [qui] prétend sortir du droit pour exercer la vendetta du système contre son seul opposant, le Rassemblement national, et contre son incarnation, Marine Le Pen ! ». Ils retournent contre la démocratie et l’Etat de droit qui les a condamnés, leur droit à s’asseoir sur la loi, leur monde corrompu de petits arrangements et malversations, agressent les juges qui ne font qu’appliquer « à des cas particuliers les lois votées par les représentants du peuple, élus de la Nation », leur a rappelé le Syndicat de la magistrature.

Nous ne discuterons pas pour notre part si la décision des juges est particulièrement sévère ni si elle est juste, là n’est pas la question. Nous ignorons les motivations qui les ont conduits à accompagner leur jugement d’une clause d’inéligibilité exécutoire, mais ils ne pouvaient ignorer sa dimension politique. La justice bourgeoise est une justice de classe, au service de l’ordre social, et la condamnation de la candidate du RN à la prochaine présidentielle se discute en termes politiques. Elle vient régler les litiges et conflits au sein de la machine étatique de la bourgeoisie et de son personnel politique, leurs rivalités et autres différends. C’est bien l’ensemble de la machine qui est corrompue de façon plus ou moins légale, l’affaire Sarkozy en est une belle illustration. Et personne n’ignore que pour tous les politiciens et partis parlementaires, le Parlement européen est une vache à lait, à l’image d’ailleurs de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Sans aucun doute Marine Le Pen en a usé avec une certaine constance et efficacité…

Elle cherche maintenant à intégrer sa condamnation à sa politique pour rentabiliser l’opération en lançant sa violente offensive antisystème contre « la République des juges ». Son meeting ce dimanche lance la campagne présidentielle de la candidate inéligible, du Trump à la française, une campagne démagogique et haineuse contre les juges et le système pour dévoyer les colères et pervertir les frustrations et désarrois populaires.

Du trouble de Bayrou à l’intervention de Darmanin en passant par la solidarité institutionnelle de Mélenchon

Mercredi, lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée, une partie des députés de cette classe politique elle-même corrompue, rongée par les affaires, a apporté un soutien plus ou moins affirmé à Marine Le Pen, fustigeant les insupportables prérogatives des juges qui leur permettraient de défaire comme bon leur semble une carrière politique. La droite populiste s’insurge qu’« une élue soit interdite de se présenter à une élection… je trouve que les débats politiques doivent être tranchés dans les urnes » (Wauquiez).

Bayrou, dont cinq membres de son parti, le Modem, ont été condamnés par la justice en 2024 pour mêmes détournements de fonds et emplois fictifs au Parlement européen et qui craint la censure, s’est dit « troublé par l’énoncé du jugement ». « Des décisions potentiellement porteuses de conséquences irréversibles ne sont pas susceptibles d’appel… Il n’y a qu’en France qu’on fait ça ! » a-t-il bafouillé en tant que « simple citoyen » sous les applaudissements de Le Pen. Conciliant, Darmanin a souhaité le délai « le plus raisonnable possible » pour le procès en appel sans oublier probablement de le faire savoir à la cour d’appel qui a décidé que l’affaire serait rejugée au plus vite en juin 2026.

En déclarant que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple », Mélenchon et la FI, eux aussi intégrés aux institutions, ont apporté leur petite contribution à la défense des politiciens contre les juges tout en appelant à manifester dimanche !

« Libérez Marine Le Pen ! », le mot d’ordre de Trump, Orban et l’Internationale noire...

Tous les dirigeants populistes amis de Le Pen lui ont apporté leur soutien depuis le « je suis Marine » tweeté par Orban à Meloni et Salvini, en passant par Bolsonaro. Vieux soutien de Marine Le Pen et assassin des opposants à son propre régime, Poutine par la voix de son représentant au Kremlin a dénoncé une « violation des normes démocratiques ». Musk, qui soutient et finance l’extrême-droite en Europe, un « abus du système juridique » : « Quand la gauche radicale ne peut pas gagner le vote démocratiquement, elle se sert du système judiciaire pour emprisonner ses adversaires ». « Cela ressemble beaucoup à notre pays » a résumé Trump, lui-même condamné et aux prises avec la justice pour de multiples affaires, et qui agresse ses propres juges qui ont fait annuler ses décrets présidentiels anticonstitutionnels. Il a appelé à la « libération » de Marine Le Pen, dénoncé « une chasse aux sorcières ».

Les forces fascisantes et d’extrême-droite sont partout à l’offensive dans le combat contre les obstacles à la domination prédatrice et destructrice du capital, à la surexploitation des travailleur·es et des peuples, dans sa fuite en avant économique et guerrière pour la réalisation des profits. Elles surfent sur la faillite et l’effondrement des vieilles démocraties bourgeoises parlementaires dont les travailleurs se détournent, écœurés par les attaques anti-sociales brutales qu’elles ont menées pour le compte des classes dominantes, et qui ne peuvent plus masquer la violence de l’affrontement de classe.

Contre la trumpisation de la société et l’extrême droite, la démocratie ouvrière

La condamnation de Le Pen n’est en rien « le séisme politique » commenté par les médias, qui ne secoue que le monde politicien en concurrence dans la course à la Présidentielle, mais son instrumentalisation par le RN donne l’avantage politique aux forces réactionnaires. Quelles que soient les suites, les recours que la démocratie bourgeoise offrira à Le Pen dans ses possibilités infinies à l’avantage des riches et des privilégiés, cette condamnation profite en réalité au RN. Dédiabolisé, normalisé, il rallie autour de sa trumpisation une partie de la classe politique. La soumission à l’ordre social dans le cadre des institutions et l’absence de programme et de perspectives de la gauche politique et syndicale intégrée au système lui laissent le terrain et le renforcent, renforcent ses idées. La contre-manifestation, ce dimanche, appelée par LFI et EELV ainsi que l’appel pour le 12 avril de SOS racisme, la Ligue des droits de l’homme et la CGT pour la défense de « l’état de droit » sont prisonnières l’une et l’autre du jeu institutionnel sont des impasses

« C’est pas à l’Elysée, c’est pas à Matignon que nous aurons satisfaction… », ce n’est pas non plus dans les urnes ou devant les tribunaux. C’est sur un tout autre terrain, hors des institutions bourgeoises, en toute indépendances des appareils de la gauche syndicale et parlementaire, que le monde du travail a besoin de s’organiser pour combattre ce système corrompu qui produit les Le Pen, Bardella, Retailleau et autres Darmanin, c’est-à-dire combattre ceux qu’ils servent, l’oligarchie financière qui dirige la société, et conquérir le pouvoir, le droit de décider, la démocratie pour et par celles et ceux qui font tourner la société et sans lesquels rien ne marche. 

Christine Héraud

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