« Notre pays a été pillé, saccagé, violé et dévasté par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis »… Telle est la thèse simpliste et mensongère avec laquelle Trump a justifié, ce mardi 2 avril dit « jour de la libération (liberation day) » (des Etats-Unis), le mur de droits de douanes sans précédent érigé pour « protéger » l’économie américaine, préalable selon lui à la renaissance de la base industrielle du pays. Une ponction minimale de 10 % touchera l’ensemble des pays de la planète tandis que, pour la Chine, une hausse de 34 % s’ajoute aux 10 % déjà imposés depuis janvier. Les importations venues de l’Union européenne seront taxées à 20 %, celles de Taïwan de 32 %, 24 % pour le Japon.
Cette offensive s’inscrit dans la continuité d’une politique protectionniste initiée par Obama contre la Chine dès la crise des années 2007-2008. Elle a été poursuivie depuis par ses successeurs en s’accentuant, face à la concurrence des autres puissances de la planète, Chine et autres pays émergents, mais aussi ses dits « alliés », Union européenne, Japon, Canada, Mexique…
Elles représentent cependant une étape dans le développement de la guerre commerciale et de l’économie de guerre. Avec le coup de force du « liberation day », les USA et les grands de la high tech franchissent un pas en déclarant la guerre y compris à leurs propres alliés, espérant ainsi protéger et renforcer leur hégémonie et avancer vers une « indépendance » économique qui leur est nécessaire pour cela et y compris, voire principalement, dans le cadre d’une stratégie militaire.
Tous les commentateurs ironisent avec inquiétude sur la folie, l’inculture et l’incompétence de Trump qui pourrait demain, espèrent-ils, changer de stratégie. Aveuglement, incompréhensions et illusions des journalistes, des idéologues d’un système qu’ils ne comprennent pas. Ainsi que l’écrit Romaric Godin, « la guerre commerciale trumpiste n’est pas la cause de la crise du capitalisme, mais un de ses symptômes. Le désordre mondial est aussi le reflet de l’épuisement des sources de croissance ». Oui, cette folie obéit à une rationalité, celle d’un système économique dans l’impasse et dans lequel la bourgeoisie américaine n’a pas d’autre choix, pour sauver ses intérêts, que de se donner les moyens d’une guerre contre la Chine dont la puissance technologique ne cesse de monter au point de dépasser les capacités d’innovation des USA. Dans ce contexte, faire renaître la puissance industrielle des Etats-Unis n’est pas un mot creux. Se préparer sérieusement à la guerre suppose disposer sur son propre territoire des moyens matériels de la soutenir en dépendant le moins possible des chaînes d’approvisionnement internationales. En négociant aussi les rapports de force pour sélectionner et soumettre ses alliés en les intégrant, les vassalisant dans le cadre d’une entente économique et militaire fondée sur la loi du plus fort. A défaut d’être en capacité de réguler, bon an mal an, l’économie et la concurrence mondiale comme ils le firent après la seconde guerre mondiale, les USA rassemblent leurs forces pour affronter par la guerre économique et militaire le reste du monde. C’est là la conséquence, son accélérateur aussi, de la faillite du capitalisme financiarisé mondialisé qui démontre la nécessité impérieuse d’un nouvel ordre économique et social fondé sur la coopération et la planification. Ce que tous les commentateurs bourgeois ne veulent ou ne peuvent comprendre.
Trump répond aux besoins de Wall Street avec une brutalité qui ne peut, tout en accentuant le chaos international, qu’accentuer les faiblesses des USA, leurs contradictions internes. Réveiller la contestation sociale et politique aussi, comme le prouve la vague de manifestations qui ont eu lieu ce samedi dans plus de 1400 villes des Etats-Unis, plus d’un million de personnes criant « Bas les pattes ! » pour « défendre les parcs nationaux et les petites entreprises, l’éducation publique et les soins de santé pour les anciens combattants, le droit à l’avortement et des élections équitables ».
L’Union européenne comme ses pays membres, dont la France, elles, s’indignent et s’agitent pour tenter de faire face à cette offensive. Mais la vanité de leurs tentatives de ripostes économiques comme militaristes est patente.
La « riposte » des « alliés » européens, rodomontades et militarisme
La prétendue riposte européenne à la politique de Trump n’a pas attendu le « liberation day » pour prendre forme. Elle porte principalement sur deux aspects : économique, en réponse à l’offensive douanière des USA, et militariste, en réponse à leur changement de posture vis-à-vis de la guerre en Ukraine.
Les propos de la présidente de la Commission européenne, von der Leyen, donnent le ton. Elle déclare « ne pas vouloir nécessairement prendre des mesures de représailles », préférant une réponse unie au niveau de l’UE visant à parvenir à « une solution négociée tout en n’excluant pas la possibilité de rétorsions le cas échéant ». Le problème est que si Trump négocie, ce sera sur son propre terrain, dans un deal dont il sera le gagnant. Quant aux « rétorsions », leur impact sera nécessairement à la hauteur de la puissance relative des deux protagonistes, au détriment de l’UE dont la « force de frappe » est par ailleurs limitée par le jeu individuel de ses différents Etats membres.
Macron, lui, a réuni dès le lendemain du « liberation day » les « représentants de filières impactées » à qui il a demandé sans rire… de ne plus investir aux Etats-Unis ! Comme si cela pouvait amener Total, LVMH et autres Stellantis à fermer leurs implantations américaines !
Le ridicule des proclamations de Macron comme les propos de von der Leyen expriment la réalité des choses : l’Union européenne comme ses pays membres, y compris les plus puissants, n’ont aucun moyen de créer un rapport de force suffisant pour contraindre Trump à reculer. Ils sont au contraire condamnés à en subir les contre-coups.
L’autre terrain sur lequel la politique des USA contraint l’Union européenne « à bouger » est celui du militarisme. Chef de l’armée la plus puissante d’Europe, la seule avec la Grande Bretagne dotée de l’arme nucléaire, Macron se voudrait le héraut d’une escalade militariste qui, au niveau du pays comme à celui de l’Union européenne, prétend vouloir compenser le départ éventuel des troupes américaines de l’Otan, comme l’a menacé Trump, depuis contredit.
Les promoteurs d’un tel projet, chefs militaires comme chefs d’Etat, sont bien conscients que son coût est hors de portée des Etats, déjà fortement endettés. Cela ne les a pas empêchés de lancer une escalade délirante de « réarmement », demandant aux fabricants d’engins de mort de multiplier leurs capacités de production afin de répondre aux dites exigences de « l’économie de guerre ». Outre l’accumulation de montagnes d’armes qui ne demanderont qu’à servir tandis que les industriels de l’armement sont gavés d’argent public, il s’agit de militariser les esprits alors que les tensions sociales s’exacerbent sous le coup de la récession économique et de politiques d’austérité de plus en plus violentes. Il s’agit en réalité de masquer l’exacerbation d’une guerre de classe au secours des profits derrière le mensonge d’une nécessité « supérieure », les intérêts de « la nation » étendue à l’Europe, prétendument abandonnée par Trump face aux menaces (fantasmées) d’invasion par Poutine.
Ni les proclamations dérisoires ni la fuite en avant dans une « économie de guerre » délirante ne peuvent sauver le capitalisme européen de l’offensive du capitalisme américain. Ainsi que l’écrit Martine Orange « Pour reprendre l’expression du président de la République italienne, Sergio Mattarella, Donald Trump nous entraîne dans le temps de la « vassalisation heureuse ». Il attend que chaque pays définisse sa place dans l’empire états-unien, fasse allégeance, aligne les concessions économiques et politiques qu’il est prêt à consentir. En un mot, qu’il négocie le poids et le prix de ses chaînes à l’égard du suzerain états-unien. » Une vassalisation en réalité bien sombre pour les travailleur.es et les peuples.
Le recul des capitalismes français et européens dans le jeu économique mondial
L’offensive des USA sur l’Union européenne se produit alors qu’elle subit fortement les effets de la stagnation économique mondiale. Sa croissance de 0,8 % en 2024 devrait encore reculer en 2025, voire s’effondrer de 1 à 2 % sous les coups des droits de douane américains.
Dans ce contexte général, le capitalisme français comme européen est loin d’être homogène. Les grandes multinationales, dont les banques, font une part importante de leurs profits à l'extérieur à travers le réseau de filiales et sous-traitants implantés à l’étranger et disposent d’une multitude de leviers pour maintenir des profits insolents. La plupart de ces groupes ont la force de faire face aux contraintes imposées par les USA, dont certains y sont déjà implantés. Tel Total dont le PDG, en visite dans une de ses implantations aux Etats-Unis, se félicitait de l’injonction de Trump à « creuser, creuser, creuser », développer sans frein l’extraction pétrolière. Ou encore LVMH dont le patron était présent à l’intronisation de Trump dont il est un « ami » …
La situation est différente pour la grande majorité des entreprises « nationales » de toute taille et de tout secteur qui dépendent du marché mondial pour leurs approvisionnements et la vente de leur production. Leur soumission à ce marché mondial n’a cessé de croitre au fur et à mesure que s’accentuait la désindustrialisation et la spécialisation des capitalismes nationaux. Elles sont aux premières loges aujourd’hui avec des conséquences dramatiques sur les personnes qu’elles emploient.
Dans son ouvrage « Où va la France de Macron ? Dynamique du capital et luttes sociales », David Muhlmann rappelle les grandes phases de la désindustrialisation de la France qui, comme l’ensemble des pays industrialisés, a accompagné à partir des années 1970 « l’émergence d’un régime capitaliste mondialisé et dominé par la finance internationale », processus auquel le capitalisme français s’est totalement intégré.
« L’internationalisation du capital des groupes français leur permet de capter de la valeur qui est créée dans d’autres pays et constitue désormais un élément déterminant de leur rentabilité »… et leur a permis de compenser, du point de vue de leurs profits, les reculs qu’ont subi certains pans de l’économie, en particulier le secteur manufacturier industriel dans lequel près de 2,2 millions d’emplois ont été détruits entre 1980 et 2019, la part des salariés industriels dans l’emploi salarié global du pays passant de 30 % à 15 %.
Cette évolution est la conséquence de la recherche constante de coûts de production les plus bas possible et donc de main d’œuvre la moins chère possible, la course à la rentabilité et à la compétitivité.
Seuls quelques secteurs se sont maintenus et développés, avec le soutien de l’Etat : l’industrie aérospatiale et l’armement, ainsi que l’automobile, actuellement en difficulté. Conséquence de cette tendance à la désindustrialisation, les importations de biens augmentent plus rapidement que les exportations, cause du déficit chronique du commerce extérieur (81 milliards d’euros en 2024).
Ce phénomène de désindustrialisation/financiarisation des économies s’est produit de façon parallèle bien que sous des formes différentes dans les divers pays européens. Confrontés à ces reculs, l’Union européenne et ses pays membres, dont la France, ont lancé à grand bruit une prétendue politique de « réindustrialisation ». Il s’agissait, nous disait-on, de retrouver la « souveraineté » dans certaines productions dites « stratégiques ». Le bluff se révèle aujourd’hui, alors que, entre autres cas, le producteur de batteries suédois Northvolt, « grand espoir de l’UE » dans la lutte contre les fabricants asiatiques, vient de se déclarer en faillite jetant 5 000 salariés à la rue.
Une crise politique et sociale chronique
Le processus de désindustrialisation des grandes puissances industrielles s’est accompagné de l’accentuation de la guerre menée par le capital contre les classes ouvrières pour l’accaparement de la plus-value, l’accentuation du taux d’exploitation. En plus des suppressions massives des emplois industriels, elle a entrainé une baisse importante de la part des salaires par rapport aux richesses produites. Selon l’OCDE, cette part serait passée de 80 % à 65 % du PIB entre 1976 et 2010 en moyenne dans les principales puissances industrielles.
Cette offensive contre les salaires s’est faite de façon directe, dans les entreprises sous la pression du chômage. Mais aussi par les « réformes » à répétition du pouvoir contre la sécurité sociale, les retraites, le droit du travail, les services publics… Une offensive continue, larvée, marquée par plusieurs offensives brutales, dont plusieurs sur les retraites telle celle de Macron en 2019, ou encore contre les droits du travail, telle la « loi travail » de Hollande-El Khomry en 2016, pour ne citer que les dernières.
Ces offensives ont donné lieu à de puissants mouvements sociaux qui, s’ils n’ont pas été victorieux, n’en ont pas moins, par la crainte qu’ils leur inspirent, contraint gouvernements et patronat à louvoyer, remettre en permanence leurs projets de casse sociale en chantier, tandis que les consciences du monde du travail évoluent, ainsi que les formes de résistance et de lutte. Le recul de la syndicalisation en est un signe, alors que la stratégie du dialogue social révèle toujours plus son impuissance, sa transformation en complicité passive au profit du patronat et du pouvoir. L’effondrement électoral du PS et du PC marque la rupture des classes populaires avec ces vieux partis, ex-réformistes, désormais explicitement convertis aux lois du marché et au service du capital.
Ce sont les signes que les cerveaux s’émancipent des illusions sur « l’Etat providence », apprennent à ne compter que sur eux-mêmes, sur leur propre organisation. Sur le terrain de la lutte des classes, cela se traduit par l’émergence de nouvelles formes d’organisation pour les luttes, celle mise en œuvre sur les rond points par les Gilets jaunes, les collectifs, les AG de lutte, etc.
Ces processus ont encore besoin de se renforcer, de se donner une cohérence politique, un programme. Mais tels qu’ils sont déjà, ils sont un puissant facteur de trouille pour le pouvoir, qui y répond par une fuite en avant vers des formes de plus en plus autoritaires, étayées par la démagogie populiste qui cherche à dévoyer la révolte des classes populaires vers le nationalisme, le racisme, la xénophobie, etc...
Pour des Etats Unis socialistes d’Europe
Ce mot d’ordre était porté par Trotsky au début de l’entre-deux guerres. Dans une série d’articles intitulés Europe et Amérique[i], il analysait les bouleversements qui s’étaient produits au cours de la première guerre mondiale, le recul des puissances impérialistes européennes face aux USA qui étaient, de fait, devenus la première puissance mondiale, les contradictions qui ne pouvaient manquer de s’exacerber de nouveau entre ces divers protagonistes. La paix en Europe ne pouvait reposer que sur la révolution dans ces vieilles puissances, dans la construction, en lien avec la jeune URSS, d’Etats-Unis socialistes d’Europe. L’histoire en a décidé autrement, les conditions n’étaient pas réunies pour que cela puisse se produire. Mais les tendances, la « révolution permanente », le « développement inégal et combiné » n’en ont pas moins continué leur œuvre. Le capitalisme financiarisé mondialisé, toujours dominé par les USA, se précipite de nouveau dans sa faillite et conduit à une nouvelle période de chaos guerrier et de menaces de toute sorte, krach financiers, crise climatique...
La déroute en cours du capitalisme renforce les conditions objectives d’une révolution socialiste mondiale, en démontre la nécessité tout en accélérant brutalement la libération et la transformation des consciences. En quelques jours, des millions de travailleur·es, de jeunes ont mesuré l’absurdité et la dangerosité d’un système hors contrôle, les appétits féroces et aveugles des détenteurs du capital et de leurs serviteurs.
Les commentateurs et politiciens aux ordres déploient des trésors d’énergie pour duper les masses, faire croire que ce n’est pas le système qui est fou mais Trump. Mais Trump et Musk ne sont que les enfants monstrueux du système qu’il dirigent en fonction de leurs seuls intérêts contre ceux de l’humanité menacée d’une catastrophe.
De nouveaux pas sont franchis dans l’idée que seule notre intervention, celle des travailleur·ses, de la jeunesse, peut mettre un coup d’arrêt à cette marche à la catastrophe. A travers ces évolutions, les idées et perspectives du programme socialiste, communiste, retrouvent leur force et leur jeunesse. Le spectre du communisme déclaré ennemi public par Trump hante à nouveau le monde. Ici et en Europe, la vassalisation des bourgeoisies et des Etats, leur impuissance à offrir un avenir quelconque autre que la misère et la guerre, la catastrophe écologique et la réaction trumpiste incarnée par Le Pen, donne toute sa crédibilité à l’alliance, la solidarité du monde du travail pour construire les Etats socialistes d’Europe.
Daniel Minvielle
[i]https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/europeameric/eur.htm



