La grève massive à la RATP, le 13 septembre dernier, et la décision des grévistes de se lancer dans la grève reconductible à partir du 5 décembre obligeant les syndicats à se rallier à eux a été le point de départ d’un processus de mobilisation vers une nouvelle étape du rassemblement du monde du travail dans l’affrontement avec le pouvoir. La mobilisation des cheminots, celle des urgentistes qui a réussi à entraîner l’ensemble du personnel hospitalier dans la lutte avec les manifestations du 14 et du 30 novembre, dans l’enseignement public, après le suicide de la directrice d’école Christine Renon, au sein des universités suite à l’immolation d’un jeune étudiant à Lyon, victime de la précarité et accusant Sarkozy, Hollande, Macron, sont autant de moments de cette mobilisation générale. Les manifestations contre les violences faites aux femmes samedi dernier participent de ce profond mouvement social, politique, démocratique.

Un an après le début du mouvement des gilets jaunes, une nouvelle étape est en train d’être franchie, le rassemblement du monde du travail sur son terrain de classe.

L’attitude du pouvoir tant par ses provocations policières à l’occasion de l’acte 53 des gilets jaunes que par son refus de répondre aux exigences des différents secteurs mobilisés ou le mépris des salariés qu’exprime son attitude sur la réforme des retraites, auxiliaire du Medef et du CAC40, contribuent à généraliser et à unifier la contestation.

La question de la grève reconductible est posée, elle se discute sur les lieux de travail. Ni le gouvernement ni les appareils ne pourront étouffer le mouvement en cours bien que celui ci n’ait pu encore se donner de direction propre. Celle-ci ne pourra se construire qu’à la base, elle passe par un approfondissement des évolutions politiques, l’émergence d’une conscience de classe qui aille au-delà de la rupture avec le système et ses institutions, les corps dits intermédiaires, une prise de confiance pour prendre ses affaires en main et poser la question de qui dirige la société, au nom de quels intérêts de classe.

Le rassemblement du monde du travail

Ce processus, engagé depuis 2016, a connu à partir de novembre dernier une radicalisation avec les gilets jaunes. Il reprend maintenant à un niveau supérieur qui discute concrètement de construire un mouvement d’ensemble, plus que la convergence des luttes, la grève générale, l’affrontement avec le pouvoir, le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs.

De même que la mobilisation s’est élargie et approfondie deux semaines avant le 5, le 5 lui-même sera un moment de prise de conscience et de confiance, un moment pour mesurer les pas en avant réalisés collectivement ainsi que la force du monde du travail. La suite en dépend, une nouvelle phase de politisation accélérée s’ouvre à travers la suite du mouvement, les prises de positions des différents protagonistes, la politique du pouvoir et du Medef.

Il s’agit de concrétiser la politique que nous défendions lors du mouvement des gilets jaunes, transformer la sympathie passive de la majorité des salariés en volonté d’entrer dans la danse en créant les conditions politiques de la convergence, la rupture avec les confusions populistes qui traversaient le mouvement pour se rassembler sur le terrain de classe.

Nous voulions aider à ce que l’irruption des gilets jaunes stimule le mouvement ouvrier, encourage les initiatives dans le sens du rassemblement de tous les travailleurs sur leur terrain de classe. C’est ce qui est en train de s’opérer.

Notre travail pour constituer des listes aux élections municipales s’inscrit dans ces évolutions. Il vise à les porter sur le terrain des élections, à les populariser, les amplifier, leur donner des porte-parole y compris dans les conseils municipaux.

S’organiser démocratiquement

L’approfondissement du processus en cours passe par les AG, les interpros, les comités de mobilisation, des cadres de discussion et de décision démocratiques, à la base. L’auto-organisation du monde du travail, des acteurs des luttes n’est pas une abstraction ni une proclamation, elle est un choix, une politique concrète, pratique et militante. Elle se met en œuvre à travers l’action concertée de militant.e.s convaincu.e.s de la nécessité de la conquête de la démocratie par les travailleurs eux-mêmes. Elle est affaire de conviction politique et pose en termes nouveaux la question d’un parti des travailleurs.

Plus que la reconductible, l’enjeu du moment est l’élargissement de l’organisation démocratique à la base ou, plus précisément, la condition pour construire la grève reconductible est l’organisation démocratique des travailleurs.

En phase avec la mondialisation de la contestation

Les mobilisations que nous connaissons sont en écho aux mobilisations qui, à travers la planète, secouent le capitalisme mondialisé. Ces dernières sont une résurgence, à un niveau supérieur, des révolutions arabes de fin 2010-début 2011 en Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Yémen, Bahreïn ou, en Europe, du mouvement des « indignés » du 15M espagnol ou en Grèce à partir de 2010, aux USA aussi avec Occupy Wall Street.

Les révolutions au Soudan et en Algérie, commencées voici plus d’un an pour la première, et plusieurs mois pour la seconde, ont été des relais. Puis, une série de soulèvements pour les moyens de vivre, la dignité et la démocratie ont éclaté fin 2019 au Liban et en Irak. En Iran, la répression s’est abattue durement contre la population qui manifeste depuis une semaine contre l’augmentation drastique du prix de l’essence décidée par le gouvernement.

Depuis des mois, des milliers de personnes, de jeunes, protestent contre la dictature de la Chine à Hong Kong, ce paradis capitaliste des affaires, où les inégalités sociales ont atteint des niveaux intolérables pour la grande majorité de la population, zones de séisme dans la tectonique des plaques des 2 grandes puissances mondiales, la Chine et les USA.

Cette vague de protestations a touché l’Amérique latine. À Porto Rico, un soulèvement populaire a remis en question le gouvernement et le régime colonial américain. En Haïti, pays le plus pauvre de la région, des révoltes ont lieu depuis des mois contre le gouvernement de Jovenel Moïse. Le Nicaragua, le Venezuela, ont vu les masses poussées par la faim et l’indignation se révolter contre les pouvoirs corrompus. Amorcée en Équateur et en Uruguay, la vague actuelle connaît son moment le plus radical au Chili, puis en Colombie.

Ce serait s’aveugler que de croire qu’en Bolivie on a seulement deux camps, celui des «fascistes» et celui de Morales. En vérité Morales, porté au pouvoir par la volonté populaire, affrontait celle-ci depuis plusieurs années. Il avait, par sa politique, perdu beaucoup de son soutien laissant le terrain à un coup d’État associant des secteurs de l’armée et de la police au pôle le plus réactionnaire du pays : la soi-disant « élite » blanche, adossée au Brésil de Bolsonaro. L’issue est dans la mobilisation des mineurs, des travailleurs, des Indigènes pour leur propre compte.

L’ensemble des mouvements de révolte pose une même question : l’intervention de la classe ouvrière sur ses propres bases, pour faire valoir ses propres intérêts, porter et faire vivre la démocratie en posant la question du pouvoir et pour cela en s’organisant en parti.

Une stratégie conditionnée par l’objectif du pouvoir des travailleurs

Ces processus aux diverses facettes sont l’expression d’aspirations démocratiques, à la dignité, au bien être en réponse à la régression sociale et politique provoquée par les réponses des classes capitalistes et de leurs États à la grande crise de 2008. La concentration sans fin des richesses entre quelques mains alors que la majorité voit ses conditions de vie se dégrader, surtout les jeunes à qui l’on ne promet que précarité, est aujourd’hui devenu insupportable.

Jusqu’alors, la classe ouvrière n’intervient pas dans ces mouvements en tant que classe. Il est plus question de mouvement citoyen que de lutte de classe. Étape incontournable, certes, ce n’est qu’au feu de la lutte que le rôle du prolétariat comme classe révolutionnaire peut s’exprimer, s’affirmer à la tête du mouvement de toutes les classes opprimées. Mais ce processus de révolution permanente n’est pas automatique, il nécessite l’intervention consciente de la classe ouvrière ou d’une fraction d’entre elle.

Aucune assemblée constituante ne peut représenter une réponse aux révoltes et soulèvements si la classe ouvrière en tant que telle ne s’organise pas pour intervenir directement et rassembler autour d’elle les différents secteurs et couches sociales en lutte. C’est dans cette perspective stratégique que peuvent se former des comités ou coordinations, embryons d’organes de la lutte pour le pouvoir, un pouvoir démocratique et révolutionnaire de la classe ouvrière et des opprimés.

Une vague portée par de profonds bouleversements économiques, sociaux, politiques

La situation actuelle est le produit d’un long basculement du monde. La chute du mur de Berlin dont on célébrait le trentième anniversaire, l’effondrement de l’URSS sont la conséquence de l’offensive libérale et impérialiste engagée dès la fin des années 70. Ils l’ont accélérée jusqu’à la grande crise de 2008 et l’émergence d’un capitalisme financier mondialisé.

L’absurdité des taux zéro symbolise l’impasse de ce capitalisme sénile qui enferme la société dans l’étouffoir de la course au profit et de l’économie de marché. Devenu insolvable tant l’endettement généralisé des entreprises, des États comme des particuliers est considérable en premier lieu aux USA mais dans l’ensemble de la planète, il n’évite la faillite que par des perfusions sans fin de liquidités qui ne font qu’aggraver cet endettement même avec des taux négatifs.

Elles viennent nourrir le système financier, avec ses bulles boursières, obligataires et immobilières.

Cette politique a un coup coût social, politique, écologique considérable. Le système financier ne pourra éviter le krach même si les banques centrales évitent le pire, l’effondrement, ce qui est loin d’être l’issue la plus probable. Cette exubérance financière a pour conséquence une aggravation de l’exploitation du prolétariat mondial, une exacerbation de la concurrence, une guerre commerciale qui freinent l’économie et pourraient aboutir à une récession mondialisée. Les rapports de classe se tendent, la démocratie est de plus en plus bâillonnée, c’est l’ère des Trump, Johnson et Bolsonaro, Poutine et Xi Jiping… Et parallèlement, la montée du militarisme, l'exploitation anarchique des ressources de la planète

Cette obsession à court terme d’éviter la faillite d’une classe historiquement dépassée empêche toute politique cohérente, planifiée à l’échelle internationale, de lutte contre le réchauffement climatique et la crise écologique.

Les évolutions en cours conduisent à une catastrophe qu’il est encore possible de conjurer. La réponse à la crise historique du capitalisme et de la domination de l’aristocratie financière est dans la mondialisation de la lutte de classe, l’approfondissement de la vague internationale de contestation actuelle.

Répondre au besoin d’un parti des travailleurs

La situation nous oblige à nous interroger sur nos tâches, le rôle du NPA au regard des besoins des travailleurs et de la perspective d’un parti révolutionnaire qui inscrive son combat dans une perspective révolutionnaire mondiale.

La vague de contestation actuelle souligne le décalage qu’il y a entre les possibilités ouvertes par la nouvelle période et la faiblesse du mouvement ouvrier et principalement de son aile révolutionnaire, la grande difficulté du mouvement révolutionnaire à sortir de la marginalité, à trouver un large écho au cœur du monde du travail.

Il est clair que la réponse à cette question décisive pour l’avenir ne réside pas dans les tentatives de recomposition de la gauche, cette gauche éclatée y compris la gauche radicale qui se réclament du CNR et de l’État-providence !

La réponse ne peut être pour le NPA la routine d’un cadre unitaire entre fractions révolutionnaires ou de tenter d’engager par en haut un processus du même type que celui qui a prévalu à la fondation du NPA tout en en soulignant plus fermement son caractère révolutionnaire.

La situation actuelle est radicalement différente d’avant 2009 de deux points de vue essentiels. Le premier est le stade sénile du capitalisme que nous connaissons, le deuxième est le développement des luttes de classes, les ruptures accomplies avec le capitalisme, ses institutions, ses partis de droite ou de gauche.

La conjugaison de ces deux éléments conduit à un regain de l’activité des travailleurs dont témoignent le mouvement des gilets jaunes et le mouvement actuel. Ce renouveau encore timide de militantisme a besoin d’une politique, d’idées. Il a besoin de prendre conscience de lui-même pour définir ses objectifs ; de se situer dans l’histoire pour inscrire son combat dans une continuité politique du mouvement ouvrier et de son indispensable expérience.

On ne peut gagner en crédibilité pour contribuer au rassemblement de la classe ouvrière et de la jeunesse que si on est capable de lutter pour l’unité de son propre camp politique.

L’aggravation des difficultés internes du NPA, comme celles de l’ensemble du mouvement révolutionnaire, sont la conséquence de notre grande difficulté à nous dégager des habitudes de la période passée pour prendre en compte les bouleversements intervenus à l’échelle internationale, européenne ou nationale depuis dix ans.

L’accélération des évolutions nous presse. Aucun des courants du NPA n’a de réponse toute faite. Celle-ci ne peut se formuler qu’à travers un choix collectif pour transformer ensemble l’outil que représente le NPA. Il s’agit d’engager un processus de refondation du NPA, non par des appels par en haut, mais d’abord en créant les conditions pour développer notre influence dans le monde du travail, nous donner plus de moyens d’y intervenir au cœur des luttes et évolutions en cours, nous donner les moyens de nous rassembler.

Cela veut dire engager une discussion en vue de définir le cadre politique qui nous réunit aujourd’hui. Les principes fondateurs sont dépassés, bon nombre de camarades ne s’y sont jamais reconnus. Nous avons besoin d’un nouveau document qui définisse nos perspectives communes face à la nouvelle époque à laquelle nous sommes confrontés. Engager ce travail nous semble indispensable, il passe par une discussion publique et ouverte à laquelle le NPA invite toutes celles et tous ceux qui le souhaitent pour nous rassembler dans la perspective de construire, ensemble, un parti de classe, un parti des travailleurs, démocratique, révolutionnaire.

Le 1/12/2019

Texte collectif dans le cadre de discussions internes au NPA

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