Le 5 décembre constitue en lui même une première victoire. 806000 manifestants, dit le ministère de l’intérieur, 1,5 million dit la CGT. Ce qui est sûr, c’est que le mouvement démarre plus fort qu’en 1995. La grève « corporatiste », de « privilégiés », destinée à « maintenir les régimes spéciaux » dénoncée jour après jour par les médias aux ordres s’est avérée une vague de fond ouvrière et populaire, la convergence des mécontentements et des colères, le rassemblement du monde du travail. Toutes les générations de toutes les professions, du public et du privé, se sont retrouvées à travers tout le pays, au coude à coude, enthousiastes et joyeuses, dans la rue. Même les avocats étaient de la partie. 

La multiplication des AG, des interpros, des appels à la reconduction ainsi que les manifs de samedi, celles des chômeurs comme des gilets jaunes ou des deux ensemble, malgré les provocations et les violences policières, montrent que le 5 pourrait bien être le point de départ d’un élargissement et d’un approfondissement de la grève vers sa généralisation. Des énergies militantes ont été libérées, de nouvelles possibilités ouvertes.

« Un crash présidentiel »

La propagande gouvernementale vole en éclat. Et Edouard Philippe se paye le ridicule de féliciter les syndicats et dit comprendre les inquiétudes des salariés !

« Ce n’est pas une grève générale mais un crash présidentiel », disait une pancarte soulignant à quel point la généralisation de la grève cible Macron, point de convergences de tous les mécontentements. Il croyait reprendre la main après le mouvement des gilets jaunes avec son grand blabla, les mobilisations n’ont pas cessé, hospitaliers, urgentistes, enseignants, jeunes en faveur de la défense du climat ou dans les universités, femmes contre les violences et pour l’égalité, travailleurs sans-papiers des boîtes de sous-traitance, travailleuses ultra précarisées du nettoyage, de l’hôtellerie, etc. Elles ont préparé le 5 décembre, un tournant qui fera date.

Macron, dupe de lui même, a cru pouvoir soumettre l’opinion au préjugé dominant selon lequel il n’y aurait pas d’autre politique que celle dictée par le CAC40. Pour lui et son monde, la santé du capital ferait le bonheur de toutes et tous. Le bonimenteur a pourtant mouillé la chemise, mais « Le roi est nu », comme le disait une autre pancarte… Plus Macron et ses ministres cherchent à nous convaincre, plus leur imposture se révèle, leurs accusations apparaissent comme l’expression des préjugés méprisants des riches contre les travailleurs. Les promesses répétées aux enseignants d’une augmentation de salaire qui viendrait compenser les pertes provoquées par la réforme approfondit la révolte et convainc les plus hésitants que ce gouvernement se paye ouvertement notre tête.

Pour tenter de regagner un minimum de crédit, y compris auprès du patronat qui commence à s’inquiéter sérieusement de voir le gouvernement œuvrer, par ses provocations, à l’entrée dans la lutte du privé, Philippe a été obligé d’annoncer qu’il rendrait publique mercredi prochain sa réforme. Entre temps, Agnès Buzyn et Jean-Paul Delevoye recevront les directions syndicales pour poursuivre le faux-semblant des négociations alors que Philippe a dit et redit que sur l’exigence minimum du mouvement, le retrait de la réforme, il ne céderait pas. Tout au plus envisage-t-il de discuter de la date de mise en application de la réforme pour les régimes spéciaux dont il garantit par ailleurs la pérennité aux policiers et militaires !

D’où l’importance de la reconduction de la grève et surtout de son élargissement au privé.

La journée du 10 sera un moment très important pour amplifier le mouvement, le construire, créer des cadres démocratiques d’organisation et de direction de la grève, des comités de grève, élus, de les coordonner pour faire des interpros de véritables organes représentatifs, élus, des directions de la grève.

C’est l’enjeu du début de semaine.

Que ce soit dans les AG ou dans les manifs, la colère dépasse largement le cadre des retraites. Elle a les mêmes ressorts que la colère qu’ont portée les gilets jaunes, une colère contre tout le système, anticapitaliste qui formule une même exigence : vivre dignement, le rejet des inégalités et d’une société pour les riches, l’aspiration à prendre ses affaires en main, à la démocratie et la solidarité.

Une politique pour la grève et le nécessaire parti de la lutte de classe

Deux grandes orientations sont en confrontation à travers le mouvement, celle des directions syndicales qui participent à l’intersyndicale qui veulent garder la tête du mouvement, décider de son calendrier pour le canaliser pour rester dans le cadre des négociations avec le gouvernement et celle des travailleurs qui entendent prendre leurs affaires en main, diriger leur grève, décider de ses perspectives, de sa politique et continuer à exercer leur pression sur les directions syndicales.

La puissance du 5 a obligé les directions syndicales à appeler au 10 mais la suite dépend des grévistes et des travailleurs.

L’enjeu est bien sûr le rejet de la réforme qui, encore une fois, frappe tous les salariés sans épargner le privé. Mais il est aussi bien plus global. A travers la bataille qui s’est engagée se construit le rapport de force entre les patrons du CAC 40, l’État et le monde du travail autour duquel se joue la répartition globale des richesses, c’est-à-dire la question de qui dirige l’économie.

Il n’y a pas d’argent nous dit-on ! Fake news, mensonges ! Les retraites, comme les salaires ou les prestations sociales sont payées sur les richesses produites aujourd’hui et demain, elles dépendent de la façon de les répartir, soit en faveur de ceux qui détiennent les rênes de l’économie soit en faveur de ceux qui produisent les richesses. Le plan de Macron est d’imposer un rapport de force qui nous soit encore plus défavorable pour l’avenir. Le 5, nous avons marqué un point à partir duquel nous pouvons avancer pour regagner des positions contre lui et son monde capitaliste. 

Cette avancée du 5 vient de loin, de la mobilisation  des milliers de jeunes, de travailleuses et de travailleurs qui se sont battus contre la loi Travail, dans les manifs des « gilets jaunes » et qui ont repris le chemin de la lutte à la rentrée de septembre.

A travers ces mobilisation une nouvelle conscience politique commence à émerger en rupture avec le capitalisme et ses institutions comme les partis qui les servent, la conscience que tous les travailleurs ont les mêmes ennemis, les grands groupes capitalistes et leurs mandataires politiques.

Ces évolutions prennent conscience d’elles-mêmes, confiance aussi. Elles ont besoin de s’organiser, de faire parti, un parti pour la grève, un parti de la lutte de classe pour changer le monde. Ce parti existe potentiellement déjà au cœur des mobilisations, il se construit par en bas par le regroupement des expériences et des histoires diverses comme l’ont fait, à leur façon, les gilets jaunes.

La tâche des révolutionnaires est de travailler ensemble à l’élargissement de la grève, à son organisation démocratique en aidant ce parti naissant à prendre conscience de lui même, des objectifs et enjeux de la lutte et, pour cela, de se regrouper eux-mêmes, par en bas, dans le mouvement.

Ce dernier suscite des débats, Mai 68, Juin 36 ? L’époque que nous connaissons est profondément différente de celles-ci, inédite. Profondément différente aussi de celle de 1995 même si elle s’inscrit en continuité d’une évolution politique dont 1995 a été la première étape significative, un premier moment de la rupture avec la gauche d’une large fraction du monde du travail. Le mouvement révolutionnaire avait été alors incapable de surmonter ses divisions pour répondre aux besoins pratiques et concrets du monde du travail. Nous n’avons pas le droit de commettre la même erreur. Militer pour le rassemblement démocratique des travailleurs dans la grève implique de militer pour le rassemblement de toutes celles et ceux qui s’en veulent les acteurs.

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