En mars 2020, la planète basculait dans une pandémie, née en Chine, qui allait faire entre 13 et 17 millions de morts selon l’Organisation mondiale de la Santé, fin 2021, et allait paralyser l’économie mondiale, entravant les chaînes d’approvisionnement, provoquant de longues pénuries de produits et encore plus de misère. Entre 2019 et 2021, le nombre de personnes sous-alimentées bondissait de 618 à 828 millions. Le Covid révélait l’état de décomposition du capitalisme mondialisé financiarisé et l’incurie, le cynisme des classes dominantes et de leur personnel politique, tous dépassés par les conséquences de leur pillage, la fuite en avant de leur système. Un puissant facteur d’accélération de la lutte des classes et des prises de conscience.

Bien que bardée de frontières, de murs et de miradors, de règlements douaniers, la mondialisation capitaliste a unifié la planète. Les capitaux en mal de rendement se déplacent à la vitesse de la lumière, la recherche convulsive de « baisse des coûts » déplace les productions en fonction du seul profit attendu, mettant en concurrence les prolétaires du monde entier en même temps qu’elle les lie à travers les chaînes de valeur. 

Le covid s’est répandu à la vitesse fulgurante des échanges internationaux, ignorant les barrières douanières. En quelques semaines, l’ensemble des services de santé de la planète, déjà moribonds, étaient saturés, faisant voler en éclat les prétendues vertus du marché, des privatisations et de la financiarisation. Les images des hôpitaux submergés, des immenses files d’ambulances, des morgues improvisées au cœur des mégapoles les plus riches du monde ont envahi les écrans. 

Les gouvernements paniqués ont oscillé entre le déni, la volonté de maintenir coûte que coûte les usines ouvertes tel Trump obnubilé par les cours de Wall Street (400 000 morts aux USA en quelques mois), et la nécessité de limiter les pertes en vies humaines nécessaires à la réalisation de plus-value. N’ayant rien anticipé, responsables de l’état de délabrement, les classes dominantes et leurs Etats ont alors décidé de confiner et fliquer, enfermer les classes populaires, les travailleur·ses. Quatre milliards de personnes, la moitié de la population mondiale, ont été confinées. Un emprisonnement général dans un climat anxiogène, l’arrêt de la grande majorité des activités sociales dont les conséquences ont touché de plein fouet les plus précaires, les malades et la jeunesse particulièrement impactée.

Face à l’impuissance et la paralysie des Etats, les mensonges des gouvernants et des patrons cherchant à masquer leurs responsabilités, les travailleur·es et les classes populaires ont pris les choses en main. Personnels de santé, d’Ehpad, employé·es de commerces, éboueurs, enseignant·es, travailleur·ses sociaux, retraité·es… les premi·ères de corvée ont organisé tout ce qui pouvait continuer à fonctionner, palliant l’incurie des classes dominantes pétrifiées.

Les causes de la pandémie au cœur même du système, crise écologique et ère des pandémies

La pandémie, ses conséquences n’ont rien eu de « naturel ». Elles ont été le produit de la marche même d’un système économique étendu à l’ensemble de la planète, soumis à la recherche effrénée de profit.

Alors que les scientifiques alertaient depuis plusieurs années sur le risque d’une pandémie, le Covid-19, identifié en Chine à Wuhan en décembre 2019, a pris une dimension mondiale en quelques semaines. C’était la troisième émergence d’un coronavirus après le SRAS parti, lui aussi, de Chine en 2002 et le MERS d’Arabie Saoudite en 2012, tandis que des virus grippaux d’origine aviaire transmissibles à l’homme faisaient leur apparition. Ces épidémies sont une des conséquences des bouleversements des équilibres naturels et des interactions humaines avec l’écosystème, l’exploitation intensive de la nature, les déboisements massifs rapprochant l’homme d’espèces sauvages, l’élevage industriel, associés à des conditions de travail et de vie imposées aux travailleur·ses méprisant les règles d’hygiène. Un cocktail détonnant, annonciateur de pandémies dont alertaient les scientifiques confrontés à l’indifférence et l’hostilité des classes dominantes incapables de mettre en œuvre une véritable politique sanitaire et de coopération internationale, indispensable pour prévenir et anticiper la pandémie annoncée.

La « réponse » des autorités ne pouvait dès lors qu’être tournée contre les populations, violente, comme en Chine où les autorités en plein déni déclaraient la politique zéro Covid. Le gouvernement y instaurait de longues périodes de confinement total doublé d’une répression féroce, allant jusqu’à murer les entrées d’immeubles et enfermer les ouvrier·es dans les usines, surveillées par des cohortes de policiers à l’aide des technologies modernes. Une politique qui provoqua des affrontements dans de nombreuses villes et plusieurs nuits d’émeute dans la plus grande usine au monde de fabrication d’iPhone.

Un système sanitaire délabré par la course à la rentabilité

Durant des décennies, tous les Etats ont mené une même politique de démantèlement des services publics, en particulier des systèmes de santé, les rendant incapables de faire face à la catastrophe annoncée.

En France, cette faillite criminelle a été révélée par l’absence sidérante de réserve de masques, de surblouses, le manque de respirateurs, de tests de dépistage… et, par-dessus tout, de personnels, infirmières, aides-soignants, brancardiers, médecins, et de lits avec 100 000 fermetures en 20 ans par les différents gouvernements !

Pour prendre en charge l’afflux de malades du Covid, les services ont dû être vidés de tout ce qui n’était pas urgence vitale, des examens et hospitalisations ont été annulés avec, pour certains, de graves pertes de chances ou risques. Des patients ont été déplacés d’une ville à l’autre, des trains transformés en services de réanimation ambulants. Les Ehpad, déjà lieux hors du monde, ont enfermé personnes âgées et soignant·es.

Gouvernement et « autorités de santé », livraient chaque soir un décompte macabre, prenaient prétexte d’arguments scientifiques ou présentés comme tels pour justifier la pénurie, tentant de reporter leur responsabilité sur la population appelée à « rester chez soi ». Une politique qui ne pouvait que susciter de la défiance qui s’est étendue aux multinationales du médicament à l’arrivée de vaccins. Des craintes sur lesquelles ont surfé démagogues et conspirationnistes tandis que le gouvernement instaurait amendes et pass vaccinal, allant jusqu’à suspendre des soignant·es non vacciné·es alors que les hôpitaux manquaient de tout.

Big pharma, vaccins, brevets, argent public… et profits

La mise au point très rapide de vaccins anti-covid efficaces a pourtant été une extraordinaire illustration des possibilités ouvertes par les progrès scientifiques, le travail humain et la coopération internationale. Mais la gestion des vaccins, l’organisation de leur production et de leur répartition, la façon dont les gouvernements ont entendu les imposer, témoignent de l’incapacité des classes dominantes et du mode de production capitaliste à répondre aux besoins collectifs même dans de telles situations.

Moderna, Pfizer, BioNTech, AstraZeneca, Johnson & Johnson ont été arrosés de milliards d’argent public par les Etats pour mettre au point des vaccins le plus vite possible sans aucun contrôle ni exigence. Les labos ont en toute impunité protégé leurs vaccins par des brevets pour les vendre à un prix inaccessible aux pays pauvres, provoquant une contestation à laquelle ont participé nombre de chercheur·ses et médecins. Une tribune appelait ainsi à la levée des brevets dans Le Monde : « si 49 % des habitants de l’UE ont reçu au moins une dose, seulement 2 % de la population du continent africain a bénéficié d’une première injection […] Face à l’urgence, une soixantaine de pays dont l’Inde et l’Afrique du Sud, durement touchés par l’épidémie, ont demandé à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) une dérogation au droit de propriété intellectuelle qui [permettrait] aux pays du Sud de produire et distribuer leurs propres vaccins et traitements ». Ils dénonçaient « ce n’est pas le système de propriété intellectuelle qui a permis l’innovation mais bien l’engagement financier des États ».

Le 16 novembre 2021, Oxfam France écrivait « Pfizer, BioNTech et Moderna réaliseront des bénéfices avant impôts de 34 milliards de dollars cette année, ce qui représente plus de mille dollars par seconde, 65 000 dollars la minute ou 93,5 millions de dollars par jour. Les monopoles détenus par ces entreprises ont produit cinq nouveaux milliardaires pendant la pandémie, avec une richesse nette combinée de 35,1 milliards de dollars ».

Là où la situation exigeait une coopération et une organisation internationales de la production et de la distribution des vaccins et de médicaments, un service public mondial de la santé, Big pharma et les Etats riches, se disputant leurs productions au prix fort, organisaient le chaos, le gaspillage, la pénurie.

Argent magique, explosion de la dette et intensification de la lutte de classe

Les Etats ont grand ouvert les caisses publiques pour arroser le capital d’une masse inouïe d’« argent magique ». Une facture du « quoi qu’il en coûte » qu’en France Le Maire estimait en août 2021 à 240 milliards d’euros.  Dès mars 2020, réunis au G20, les dirigeants des grandes puissances avaient annoncé injecter « plus de 5 000 milliards de dollars » dans l'économie mondiale pour, disaient-ils, « contrer les répercussions sociales, économiques et financières de la pandémie »… En clair tenter d’éviter le krach généralisé, préserver envers et contre tout le système financier avec l‘argent public que les Etats auraient mission de récupérer sur les travailleur·ses. Fin 2020, l’endettement public mondial atteignait 277 000 milliards de dollars, l’équivalent de 432 % du produit intérieur brut (PIB) mondial.

Dans le même temps, les Etats donnaient toute latitude aux capitalistes pour contourner le droit du travail. En France, la « loi d’urgence sanitaire » permettait d’allonger le temps de travail jusqu’à 60 heures par semaine et de prendre sur les RTT, comptes épargne temps ou congés pour le confinement. 300 milliards de prêts bancaires garantis par l’État étaient octroyés au patronat, 110 milliards pour le remboursement du chômage partiel ou le paiement des cotisations sociales…

Plus jamais ça ?

Tentant de désamorcer la colère, Macron promettait en mars 2020 de « tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour »… Qui pouvait y croire ?

Les personnels de santé, auxquels chaque soir les applaudissements solidaires des confiné·es rendaient hommage, condamnant en creux l’incurie du gouvernement, ont eu droit à une… médaille en guise de « reconnaissance » ! Macron a invité les patrons à verser une prime, laissée à leur bon vouloir. Les personnels de santé, du médico-social puis une grande partie des travailleur·es sociaux ont fini par obtenir une prime mensuelle de 183 euros nets (160 nets dans le privé lucratif), vécue comme une provocation alors que le système de santé continuait sa dégradation, submergé par une vague de démissions. Les fermetures ont continué, 17 000 sur les 3 dernières années. Les services d’urgence, particulièrement impactés, fonctionnent en mode dégradé quand ils ne sont pas fermés… L’ensemble des hôpitaux, pris à la gorge par la dette et les banques, et la moitié des cliniques privées sont aujourd’hui en déficit.

Dans le monde entier, les grandes déclarations post-Covid ont laissé place à une fuite en avant décomplexée, entièrement dévouée aux intérêts du capital et porteuse de nouvelles catastrophes économiques, sociales, écologiques et sanitaires.

Ce 28 mars, alors que les Etats-Unis font face à une nouvelle crise de santé publique avec le retour de la rougeole, JR Kennedy, ministre de la santé, antivax notoire, annonçait la suppression de 20 000 postes sur 82 000 au ministère de la santé, en particulier dans les agences chargées de la réponse aux épidémies. Le lendemain, c’est le haut responsable des vaccins de l’Agence du médicament qui était écarté. Cela alors que les USA ont annoncé, au nom de l’America first, le démantèlement de l’USAID, agence américaine pour le développement international qui finançait l’essentiel des programmes humanitaires. Un « cataclysme » pour les ONG qui dénoncent « l’impact colossal sur la santé mondiale avec la multiplication des virus, épidémies et pandémies, qui, eux, n’ont pas de frontières ».

Pour que les premièr.es de corvée, celles et ceux qui font marcher la société la prennent en main

La pandémie a accéléré les prises de conscience et amplifié la rupture politique, morale, de toutes celles et ceux constamment en première ligne, avec les classes dominantes et leurs gouvernements.

La contradiction entre la rapidité avec laquelle scientifiques et techniciens ont été capables de produire un vaccin et l’irresponsabilité, l’incurie des groupes capitalistes et des Etats, la désorganisation qui en résulte, est devenue une évidence pour tou·tes. La prise en main par les premièr.es de corvée de l’urgence sanitaire et sociale a transformé le regard que les travailleur·ses, les classes populaires portaient sur eux-mêmes, faisant écho au mouvement des Gilets jaunes qui, quelques mois plus tôt, affirmait « c’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons ! ».

Même de façon confuse, l’idée que les solutions existent qui reposent sur les moyens humains, scientifiques, techniques prenait un contenu concret. Se poser la question de les mettre en œuvre posait celle de s’affronter à la propriété capitaliste, le parasitisme de la minorité, libérer l’économie de la course au profit.

Cinq ans plus tard, cette expérience concrète, intime, s’est enrichie de nouvelles leçons, en particulier celles de la lutte des retraites et une nouvelle démonstration de l’impasse du réformisme syndical et politique. L’offensive pour faire payer le « quoi qu’il en coûte » aux travailleur·ses, l’inflation galopante qui a laminé les salaires et les conditions de vie des classes populaires et de la jeunesse, les profits exorbitants d’une poignée de milliardaires, aujourd’hui la marche à la guerre, transforment les consciences.

Les contradictions ont continué de s’exacerber, tout particulièrement dans la santé. Elles appellent au niveau de toute la société les mêmes réponses, par en bas, de celles et ceux qui travaillent et auxquels il appartient de décider.

Isabelle Ufferte

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