« Croissance en berne, profits revus à la baisse… Trump déploie sa politique et Wall Street déchante » titrait le journal Les Echos mardi 12 alors que la bourse de New York venait de connaître deux journées noires, marquées par la chute de ses principaux indices. Sur la seule journée de lundi, le Down Jones perdait 2,08 %, le S&P 500 2,7 %, le Nasdaq 4 %. Ils poursuivaient leur baisse les jours suivants avant de repartir à la hausse vendredi, incertitude et nervosité des marchés alors que l’or bat des records historiques.

Les grandes entreprises de la tech, dites les « sept magnifiques », sont les plus touchées. La folie spéculative qui a accompagné depuis fin 2022 la course au développement de l’Intelligence artificielle, boostée ensuite par l’intronisation de Trump, avait porté leurs capitalisations boursières à des sommets. Mais entre le pic du 19 février et mardi 12 mars, Meta a reculé de 4,42 %, Microsoft de 3,34 %, Alphabet de 4,41 %, Apple de 4,85 %, Amazon de 2,36 %, Nvidia de 5,07 % et Tesla de 15,43 %. Sur la période, la capitalisation boursière globale des 500 entreprises constitutives du S&P500 a chuté de 4000 milliards de dollars, celle des « 7 magnifiques » de 1570 milliards dont 750 milliards sur la seule séance de lundi 11. Tesla, qui a perdu 800 milliards de dollars, est la plus touchée, tout comme son patron Musk, dont la fortune a fondu de 148 milliards de dollars, premier symptôme d’une possible déroute politico-financière.

Cet effondrement s’inscrit dans la continuité d’une baisse commencée depuis la mi-février après une envolée résultant des espoirs mis par Wall Street sur l’arrivée au pouvoir de Trump. Espoirs irrationnels qui ont été douchés par les conséquences concrètes de la politique de Trump-Musk : « L’optimisme qui régnait parmi les entreprises américaines au début de l’année s’est évaporé, remplacé par un tableau de plus en plus sombre, caractérisé par une incertitude accrue, une activité commerciale en berne et des hausses de prix » écrit l’économiste en chef de S&P Global. Selon les économistes de JP Morgan, la plus grande banque US, la probabilité d’une récession, estimée à 30 % en début d’année, est passée à 40 %… Ces évaluations n’ont pas grand sens, mais elles expriment cependant les doutes d’une classe dirigeante aveuglée par ses fantasmes, incapable de maîtriser son propre système dont la logique lui échappe et dont elle est elle-même le jouet.

Wall Street découvre brutalement que la guerre commerciale de Trump, à coups de droits de douane, de chantages, de menaces d’annexion, de voltes faces qui rendent toute prévision impossible, menace la « prospérité américaine », comprendre celle des « investisseurs ». A cela s’ajoutent les conséquences de la casse de l’administration d’Etat par le DOGE (Département pour l’efficience du gouvernement) dirigé par Musk. Les purges, qui ont porté jusqu’à présent sur la suppression de plus de 60 000 emplois de fonctionnaires, sont une attaque violente contre les bénéficiaires de ces services, USAID (aide internationale), Sécurité sociale, Education, etc. Il n’y aurait là rien qui puisse émouvoir les classes dominantes si certains services indispensables au fonctionnement des entreprises n’étaient aussi touchés. C’est entre autres le cas de l’agence de météorologie US (NOAA, agence américaine d’observation océanique et atmosphérique) qui a perdu 10 % de ses 12 000 employés alors que ses activités sont d’une utilité cruciale pour diverses activités productives, l’agriculture, l’aviation, la navigation… Enfin et surtout, les classes dominantes US s’affolent devant les risques d’instabilité sociale et de révolte que porte la situation.

L’offensive que Trump et Musk mènent au nom des intérêts de Wall Street se retourne contre cette dernière et l’amène à réagir. Cette politique, aussi incohérente et folle qu’elle puisse paraître, constitue une continuité et un basculement. Continuité avec celle initiée par Obama et poursuivie par ses successeurs après que la crise de 2007-2008 ait révélé la montée en puissance des capitalismes émergents, en particulier la Chine. Montée en puissance qui remettait en cause l’hégémonie US et l’incitait à mettre en place des politiques de plus en plus protectionnistes. Basculement par le fait que ce protectionnisme s’est débarrassé avec Trump de ses habillages diplomatiques hypocrites pour franchir un pas dans l’offensive qui vise désormais des « alliés » et « partenaires », Canada, Mexique, Union européenne, etc. Avec la brutalité d’une puissance prête à tout pour garantir les privilèges de l’oligarchie financière qui règne sur Wall Street, le pouvoir US semble transposer sur les plans géopolitique et géoéconomique la stratégie du « chaos créateur », selon leurs propres termes, initiée sur le plan militaire par l’armée US dans les deux guerres d’Irak et en Afghanistan, y produisant les désastres que l’on connaît.

Cette fuite en avant obéit aux lois mêmes d’un système engagé dans une marche à la faillite inéluctable marquée par l’aggravation d’une crise globale, économique, écologique, sociale, financière, une crise d’accumulation à laquelle les mesures prises depuis des décennies par les Etats et les institutions financières ont été incapables de remédier. Leurs remèdes n’ont au contraire cessé de l’aggraver, exacerbant la concurrence et les escalades guerrières ainsi que l’exploitation des travailleur·es et des ressources naturelles, tandis que la pseudo démocratie dont se revendiquent les Etats occidentaux laisse place à des pouvoirs de plus en plus réactionnaires. L’arrivée de Trump au pouvoir est le produit de ces évolutions. La brutalité de sa politique, l’accentuation de la guerre qu’il mène contre les travailleur·es et les peuples les accélèrent même s’il est impossible de prévoir les rythmes et les formes de la catastrophe annoncée. Elle est inscrite dans la nature même du capitalisme, produire pour le profit et la reproduction, la perpétuation du capital qui exige toujours plus de profit. Les premières convulsions de la thérapeutique protectionniste, anti-ouvrière, militariste de Trump en constituent un nouvel épisode aigu.

Restaurer une hégémonie révolue et « ramener la richesse en Amérique » ou l’impasse destructrice d’un capitalisme belliciste, parasite et prédateur

Trump a accédé au pouvoir alors que le capitalisme américain est confronté au ralentissement qui le touche comme il touche l’économie mondiale. La croissance du PIB, à 3 % en moyenne au cours des années Biden, était la meilleure des pays occidentaux. Mais elle était portée par les centaines de milliards de subventions des « plans Biden » bien plus que par l’activité réelle des entreprises. Malgré la difficulté d’établir des pronostics dans le contexte des voltes faces de Trump, divers organismes anticipent une croissance du PIB US à 2,3 %, voire 1,4 % pour 2025. Les chiffres de l’emploi de février ont montré une faible hausse du chômage de 4 % à 4,1 %, le nombre d’emplois créés n’augmentant que de 151 000 alors que 170 000 étaient attendus. A la même période, il y a un an, 222 000 emplois avaient été créés. Et la situation ne peut que s’aggraver alors que, comme l’écrit un commentateur : « Les entreprises vont réagir à cette période extraordinaire d’incertitudes en mettant sur pause embauches et investissements ». L’inflation serait revenue à 2 % et devrait rester stable selon le patron de la FED. Mais les consommateurs ont un autre avis, confrontés à la hausse des denrées alimentaires, des loyers, de l’essence, des services médicaux, des frais de scolarité... Sur le plan financier, l’effondrement des entreprises de la tech révèle leur fragilité et la réalité des risques de krach tandis que la dette de l’Etat dépasse 36 000 milliards de dollars, plus de 120 % du PIB. 

Sur le plan des échanges de biens et de services, il s’agit pour Trump de mener la guerre aux BRICS, surtout à la Chine, mais aussi à l’UE, au Canada, au Mexique, au Japon, à la Corée du Sud, à l’Australie... Il a engagé un bras de fer consistant en de fortes hausses des droits de douane visant divers produits (25 % sur l’aluminium et l’acier…) et tel ou tel pays. Hausses auxquelles ces derniers ripostent en taxant des produits importés des USA, entraînant une surenchère de Trump. Il en résulte un échange ubuesque de menaces croisées réciproques dont il est impossible de savoir à quoi elles vont aboutir concrètement. Pour l’instant, ce qui prévaut, c’est surtout la crainte, dans le patronat américain, de la désorganisation qui résulte de cette stratégie, menace de récession, poussée inflationniste. Crainte qui se traduit aussi bien par la chute de Wall Street que par des interventions directes de certains secteurs du patronat auprès du président tandis que la grogne gagne aussi les rangs du parti républicain.

Questionné sur le risque de récession lors d’une interview sur la chaîne Fox, Trump a tapé en touche : « Je n’aime pas prédire ce genre de choses. Il y a une période de transition, parce que ce que nous faisons est très important. Nous ramenons la richesse en Amérique. C’est une chose importante, et il y a toujours des périodes, cela prend un peu de temps. »

Une « période de désintoxication [aux dépenses publiques] » pour le secrétaire au Trésor qui, questionné sur le risque d’inflation, rétorquait que la fonction de l’Etat n’était pas « de maintenir les prix bas », manifestant son mépris aussi bien des conséquences dramatiques des hausses du coût de la vie sur les classes populaires, qu’en tant que facteur récessif sur l’économie. Cela alors que les chiffres de la consommation des ménages sont en baisse, en particulier sur les biens de consommation durables, comme l’automobile. L’indice de confiance des consommateurs a perdu 7 points en février, la plus forte baisse depuis août 2021. L’ancien secrétaire du Trésor de Biden explique dans Les Echos que les « incertitudes ont mené une forte réduction des dépenses des consommateurs et des entreprises, et à des réductions encore plus fortes des intentions d’achat », entreprises qui souffrent déjà des « restrictions substantielles sur l’immigration » qui les prive d’une main d’œuvre bon marché.

Trump entend aussi faire face aux menaces qui pèsent sur le dollar en tant que principale monnaie mondiale des échanges et de réserve. En tant que monnaie de réserve -fonds des banques centrales destinés au change-, la part du dollar, qui était de plus de 70 % en 2000 est aujourd’hui de l’ordre de 58 %, au bénéfice d’autres monnaies, dont l’Euro. Sa part dans le paiement des échanges internationaux n’est plus que de 54 % tandis que les échanges entre les pays membres des BRICS se font de plus en plus en monnaie locale. Un projet, porté par Lula, vise à la mise en place d’une plateforme numérique de paiement -BRICS Pay- permettant de contourner, pour les échanges entre les membres des BRICS, le système en vigueur actuel -SWIFT- contrôlé par les USA. C’est une remise en cause du « privilège exorbitant » du dollar, qui permet en particulier aux USA de financer leur déficit extérieur. « Une des angoisses de l’équipe Trump, c’est que le rôle international du dollar soit entamé » écrit un économiste. D’où sa menace de frapper de droits de douane de 150 % les pays qui oseraient s’aventurer dans la remise en cause des « droits » du dollar. Mais, tout comme les sanctions émises contre la Russie ont conduit à développer le paiement de ses échanges avec la Chine en renminbi, la monnaie chinoise, les mesures de coercition de Trump ne peuvent qu’inciter ses adversaires à trouver des alternatives pour les contourner et se retourner, à terme, contre le dollar. 

Cette politique a un coût et Trump compte le faire payer aux classes populaires, aux travailleur·es, aux migrants. C’est le sens des attaques menées contre l’administration d’Etat et les services utiles aux plus démunis, coupes qui permettraient selon Musk, qui n’est pas à un bluff près, d’économiser jusqu’à 2000 milliards de dollars en licenciements massifs de fonctionnaires comme en suppression d’une multitude de services, considérés comme inutiles voire nocifs du point de vue de leurs cerveaux malades, comme l’aide aux migrants et tout ce qui touche à la « diversité », « à l’inclusion »…

Le délire absurde d’une offensive idéologique et policière

L’offensive de Trump, Musk et leurs amis est aussi une offensive idéologique et policière, répressive, dans laquelle ils laissent libre cours à leur xénophobie, leur racisme, leur transphobie, leur machisme, leur mépris de classe.

Après avoir interdit la « diversité » -la présence de personnes transgenres- dans l’armée, Trump a ordonné au Pentagone de supprimer de ses archives tout ce qui fait référence aux programmes de « diversité, d’équité et d’inclusion ». Cela concernerait jusqu’à cent mille photos ! 

Dans leur délire libertarien et sous prétexte « d’abrogation Woke », ils ont établi une liste de mots -« femme », « climat », « préjugé »…- qu’il est « conseillé » de ne pas employer dans les journaux au risque de se voir exclu des conférences de presse du président, comme c’est arrivé aux journalistes de l’agence Associated Press, ou dans des publications universitaires sous peine de se voir couper les vivres. « Il est impossible de concevoir une étude sur les humains sans utiliser au moins un des termes figurant sur la liste des interdictions, écrit une professeure de psychologie. Cela signifie que la recherche biomédicale, la recherche sociale et les neurosciences sont désormais gelées aux États-Unis […] il s’agit d’une guerre contre la science ».

Cette guerre contre la science est une des absurdités qui naît de la contradiction de plus en plus violente entre les progrès scientifiques et technologiques et leur dépendance à la propriété privée du capital. La science est indispensable à la course à la productivité inhérente au capitalisme. Mais ses avancées mettent aussi en cause les fondements du système parce qu’elles mettent en évidence les mensonges par lesquels il justifie ses exactions, sur la question écologique, les questions sociétales et sociales, sciences humaines, économie politique, histoire, etc.

La politique économique aveugle du capitalisme, la mise à nu des rapports de violence et de domination hystérisent les cerveaux emportés dans cette fuite en avant sans repère autre que la loi du plus fort, le profit, le pillage, la prédation qui écrasent les êtres humains et détruisent tout équilibre social et moral. Une partie de la classe dominante s’engage dans une évolution similaire à celle qui aboutit jadis au fascisme.

Face à l’impasse capitaliste mortifère, la solidarité et l’union sans frontière des travailleur·es

La politique de Trump-Musk est l’expression d’une force brutale mise au service de l’oligarchie financière des USA pour tenter de restaurer leur hégémonie sur le plan économique, militaire et monétaire, face à une concurrence qui se fait de plus en plus pressante. C’est une impasse historique qui accentue la crise globale, économique, sociale, financière, écologique, transforme le pouvoir de la bourgeoisie en dictature de déments, la planète en champs de batailles et de ruines.

Cette faillite annoncée des classes dominantes contribue à libérer les esprits de leur domination idéologique, morale politique pour libérer les potentiels révolutionnaires des classes exploitées et dominées, aux USA comme partout dans le monde qu’ils entraînent dans leur danse macabre. Elle prépare la seule issue, l’intervention des travailleur·es, de toutes celles et ceux qui refusent cet avenir de guerre, d’exploitation, de misère et de délire nationaliste et xénophobe.

Daniel Minvielle

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn