Des agressions graves à la porte de plusieurs établissements scolaires ont eu lieu la semaine dernière dont l’une a conduit le 5 avril à la mort de Shemseddine, 15 ans, à Viry-Chatillon en Essonne. Trois jours plus tôt, Samara, une collégienne de 13 ans était rouée de coups à la sortie de son collège à Montpellier, tandis que le 3 avril, à Tours, cinq jeunes filles mineures passaient à tabac une collégienne de 14 ans, filmant la scène avec un téléphone.
La droite et l’extrême-droite se sont emparées de ces drames de violence entre adolescent·es, qui ont suscité une vive émotion et interrogent, pour, par une généralisation outrancière et démagogique, développer leur propagande sécuritaire et réactionnaire qui vise tout autant l’école, les enseignant·es que les jeunes et les parents en particulier issus de l’immigration, l’ensemble des classes populaires.
Ces drames sont la conséquence d’actes isolés, aux multiples causes, mais la violence qui s’exprime de diverses façons au sein d’une fraction de la jeunesse met en lumière les conséquences du délitement social engendré par la politique libérale de mise en concurrence de tous contre tous, la violence de la politique des classes dominantes qui touche tout particulièrement les jeunes des quartiers populaires.
Macron a fustigé « une forme de violence désinhibée chez nos adolescents » qui n’aurait pas sa place à l’école. L’école « doit rester un sanctuaire » a-t-il affirmé. « Nous serons intraitables contre toute forme de violence […] il faut protéger l’école de ça » a-t-il déclaré, comme si l’école pouvait être imperméable à la régression sociale généralisée, et alors que sa politique a entraîné la ruine et le délabrement de l’Education. L’école n’a, en réalité, jamais été ce sanctuaire mais, bien au contraire, une institution qui reproduit les divisions sociales, leurs violences, quels que soient le dévouement et les objectifs des enseignant·es.
Le pouvoir, ainsi qu’il le fait chaque fois qu’il est confronté aux conséquences de la régression sociale que sa politique engendre, n’imagine pas d’autre réponse que sécuritaire, autoritaire et répressive, de la même façon qu’il s’en prend aux chômeurs, au « logement social à vie » ou instaure « l’amende lapin »...
Face à ce qui est présenté comme une flambée de violence à la porte des collèges, montée en épingle et largement exagérée, -les cas de violence grave n’ont pas augmenté depuis plus de 10 ans-, Belloubet, Dupond-Moretti et Darmanin ont réuni au ministère de l’Intérieur plus de 200 recteurs, préfets et procureurs généraux, et annoncé des mesures pour « la sécurisation aux abords des établissements ». Leurs réponses sécuritaires et répressives, leurs préjugés et leur mépris des classes populaires, retournent la responsabilité de cette violence contre les jeunes et leurs familles, et ne font qu’aggraver les tensions et l’engrenage des violences.
Des réponses répressives contre une jeunesse et des familles jugées coupables et responsables
Belloubet promet « la mobilisation générale pour la sécurité des collèges et lycées » et de « déployer un bouclier autour de l'école ». Une « force mobile de sécurité nationale » d’une vingtaine « d’agents expérimentés » volera au secours des établissements « sur tout le territoire en moins de 48 h en cas de crise aiguë ». L’intervention d’une unité mobile d’assistants d’éducation (AED) sera expérimentée, les AED transformés en agents de sécurité. Des réponses dont le ridicule souligne l’impuissance et le mépris du gouvernement pour les jeunes des classes populaires et l’école publique, une agitation stérile sur le terrain sécuritaire et répressif de l’extrême-droite.
Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale, promettait de « nettoyer les trottoirs aux abords des établissements » face aux « gangs » et aux « deals » ; « tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter ! ». Face à une « délinquance plus forte et plus jeune », il envisage de durcir les sanctions dès l’école primaire, avec l’instauration de conseils de discipline, comme au collège et au lycée. Cette politique du gouvernement qui désigne des responsables vise à masquer sa propre responsabilité, son impuissance coupable.
Les actes graves de violence qui ont pu entraîner la mort d’adolescents à la porte de leur collège ou leur lycée existent depuis longtemps et les gouvernements, qui font mine de s’en émouvoir lorsqu’ils se produisent, n’ont cessé d’y opposer des dispositifs répressifs qui n’apportent aucune réponse. En 1992, Jack Lang, ministre de l’Education nationale et Paul Quilès, ministre de l’Intérieur, instauraient le premier plan contre la violence à l’école et introduisaient la coopération entre l’Education et la Police. En 2018, Castaner ouvrait la porte à la présence physique des forces de l’ordre dans les établissements scolaires tandis que Belloubet, alors ministre de la Justice, augmentait le nombre de centres éducatifs fermés. Cette politique conduit à une escalade répressive contre la jeunesse alors que les mécanismes de fond qui nourrissent la violence non seulement ne reçoivent aucune réponse mais s’aggravent.
L’école désarmée et impuissante face aux conséquences de la violence sociale
La droite et l’extrême-droite se sont emparées des drames de Viry et de Montpellier pour développer leurs politiques xénophobes, racistes, antisociales. Elles instrumentalisent les peurs et les préjugés, généralisent un climat de violence entre adolescents, un « ensauvagement » de la société pour accuser, alors que les drames dans ou à la porte des établissements scolaires, comme dans les quartiers ou la rue, sont l’expression de la violence de cette société qui exploite, exclut, stigmatise, abandonne la jeunesse des quartiers populaires en ruinant l’école, la criminalise et la réprime violemment quand elle se révolte, ne lui offrant aucun avenir pour la majorité d’entre elle.
Selon la DEPP (la direction ministérielle de l’évaluation, de la prospective et de la performance), les violences sont deux fois plus fréquentes dans les lycées professionnels que dans les collèges. « L’absence d’incident grave est plus répandue dans les établissements socialement favorisés. Ainsi 56 % des établissements socialement favorisés ne déclarent pas d’incident grave contre 11 % parmi les établissements socialement défavorisés ». Ces chiffres témoignent d’une ségrégation scolaire que les gouvernements ne cessent de creuser par leurs réformes.
« Le choc des savoirs », une politique de ségrégation sociale, une violence institutionnelle inacceptable
Le choc des savoirs, ce tri social institutionnalisé, illustre de façon particulièrement cynique et agressive le mépris qui régit l’escalade du pouvoir contre la jeunesse défavorisée dans la continuité des réformes de l’Education. Ces dernières n’ont cessé de creuser les inégalités scolaires, comme en témoignent les résultats de PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves qui, aussi contestable soit-il, montrent que c’est en France qu’elles se creusent le plus et qu’existent les plus forts écarts de performance entre les groupes « extrêmes ».
C’est au nom de la réduction de ces inégalités que Gabriel Attal voudrait imposer le choc des savoirs dont une des principales mesures, la mise en place de groupes de niveaux au collège, est une attaque violente contre les élèves des milieux populaires les plus fragiles qui, assignés dans des groupes de « faibles » avec l’obligation d’obtenir le brevet des collèges pour entrer au lycée, y compris professionnel, se verront fermer les portes d’études supérieures et seront canalisés vers le marché du travail, soumis à un patronat pour lequel l’Etat finance généreusement l’apprentissage. Une réforme réactionnaire que le gouvernement n’aura pas les moyens d’appliquer faute de personnels -il veut faire appel aux retraité.es !-, et qui ne fera que dégrader encore plus les conditions d’apprentissage pour les élèves et les enseignant·es !
Selon une étude réalisée par Les Echos, plus d'un million de jeunes sont déjà aujourd'hui livrés à eux-mêmes, sans emploi, sans formation.
L’école est au bord de l’effondrement, résultat de politiques qui, pour satisfaire les profits et les actionnaires pillent les caisses publiques et ruinent les services publics. C’est au nom du déficit public que Bruno Le Maire vient d’amputer le budget de l’Education de 700 millions d’euros et que le gouvernement continue de supprimer des postes d’enseignant·es, de personnels d’éducation, sociaux et médicaux...
La régression générale des conditions d’enseignement, l’exclusion qui nourrit l’échec scolaire, l’apartheid scolaire (certains collèges comptent moins de 1 %, et d’autres plus de 60 % d’élèves « défavorisés »), font de l’école une fabrique de la violence qui renforce l’exclusion.
Mettre fin à la décomposition sociale engendrée par le capitalisme
Les personnels de l’Éducation refusent en bloc la violence du choc des savoirs, l’école du tri social auquel le gouvernement cherche à les associer. Ils se mobilisent dans de nombreux collèges du pays contre les groupes de niveaux. Dans le 93, le département le plus pauvre, fer de lance de la mobilisation et de la grève pour un plan d’urgence pour l’Education, l’école a atteint un tel niveau de délabrement qu’elle n’a plus les moyens de former et éduquer, de jouer son rôle de prévention, d’accompagnement et d’aide aux difficultés des adolescents les plus fragiles qui retournent leur sentiment d’abandon et leur désespoir contre eux-mêmes et l’institution scolaire, dans une violence alimentée par la pression réactionnaire des classes dominantes, leurs préjugés xénophobes, racistes, sexistes, contre les musulmans ou supposés tels et contre les migrants.
En luttant pour l’école, contre l’abandon des quartiers populaires et la décomposition sociale, les enseignant·es se sont adressé.es aux parents, aux familles, ont gagné leur soutien et une solidarité bien plus large dans le monde du travail auprès de salarié·es qui sont l’objet de la même brutale offensive des classes dominantes. Ils indiquent la voie, une lutte politique d’ensemble rassemblant le monde du travail.
Pour mettre fin à la violence destructrice du capitalisme, il n’y a pas d’autre voie que l’affrontement avec le pouvoir des classes dominantes et de leur État. La jeunesse n’a pas d’autre choix que d’y conquérir sa place en particulier pour empêcher la violence aveugle et stupide, parfois criminelle qui se retourne contre elle et pourrait demain être utilisée par l’extrême droite.
La bourgeoisie et les politiciens qui la servent sont passés maîtres dans la démagogie qui retourne contre leurs propres victimes les drames dont ils sont responsables.
Le terreau de violence inextricable, produit de l’exploitation et de l’oppression, nourrit l’extrême droite et ses idées que Macron-Darmanin prétendent combattre en les appliquant sans attendre. La seule force capable d’enrayer cette logique destructrice est le monde du travail, les classes populaires par leur solidarité avec la jeunesse, en organisant ensemble eux-mêmes la sécurité autour des écoles, dans les quartiers, en imposant le contrôle de la population sur la police et les commissariats, en opposant au pourrissement capitaliste la perspective d’une société plus solidaire et plus juste qui redonnera à l’école son rôle émancipateur et à la jeunesse sa liberté pour prendre en main son avenir et celui de toute la société.
Christine Héraud