Le premier tour de l'élection présidentielle a soldé les comptes de plus de 30 ans d'alternance ou de cohabitation droite-gauche au service des classes dominantes. Les Législatives ont fini de tourner la page, soldant définitivement les comptes du PS et de LR, tous deux désormais en lambeaux, sans le moindre ménagement pour les perdants. De puissantes rentes de situation se sont écroulées en quelques semaines, bouleversant le paysage politique. Et le jeu de massacre continue.

Ferrand, Goulard, De Sarnez, Bayrou : la farce des « mains propres » n’aura guère duré. En trois jours, quatre ministres sur dix-huit ont été contraints de démissionner. Celui de la Cohésion du Territoire, sous le coup d’une enquête judiciaire pour « favoritisme » au bénéfice de sa compagne et aux dépens d’une mutuelle et de ses assurés... Puis la ministre des Armées qui a annoncé son forfait en plein salon du Bourget, grand supermarché où elle officiait la veille avec Macron et Dassault, jouant les VRP pour les industriels de l’armement et qui a entraîné dans son sillage les ministres des Affaires européennes et de la Justice, visés par l’enquête sur des emplois fictifs d’attachés au Parlement européen. Parmi eux, l’inénarrable Bayrou chargé par Macron de la « moralisation de la vie publique » et de « rétablir la confiance »…

Pour Macron, ce goût subi pour « l’éthique » et la « moralisation » vient à point nommé… l'occasion d'envoyer dans les cordes l'ambitieux et encombrant Bayrou, de finir de se débarrasser du vieux personnel politique et de mettre sa majorité au pas tout en l'ouvrant à de nouvelles têtes. Tandis que la ministre du Travail, visée par une enquête pour favoritisme en tant qu’ancienne directrice générale de Business France dans le cadre de l’organisation d’un voyage de Macron à Las Vegas en 2016, n’a pas l’air de craindre pour sa place…

Macron a une majorité absolue, 308 députés LREM auxquels il faut ajouter les 42 du Modem et tous ceux qui de LR au PS ont d’ores et déjà dit qu’ils voteront la confiance au gouvernement « pour faire réussir la France », tel le nouveau groupe « Les Républicains constructifs, UDI et indépendants » emmené par Solère, le vieux copain LR de Philippe. Et il pourra en plus compter sur des « opposants » ponctuels et néanmoins constructifs qui s’abstiendront… Tout est désormais en place pour engager sans plus attendre l’offensive.

A la place de la prétendue opposition droite-gauche qui brouillait la vue et dont le voile a fini de se déchirer, apparait aujourd’hui dans toute sa brutalité l’opposition entre le capital et le travail, la lutte de classe, dans un contexte de grande instabilité politique et de profonde révolte d’une fraction de la population. Les 58 % d’abstention au 2ème tour des législatives, plus de 27 millions de personnes sans compter les millions de non inscrits, témoignent d’un rejet inédit de ce système.

Le problème n’est donc pas vraiment de discuter pour savoir si Macron est légitime ou pas, aucun gouvernement de la bourgeoisie ne peut être légitime. Nous avons par contre besoin d’appréhender la nouvelle situation, ses contradictions, pour penser les ruptures et les bouleversements en germe, les possibilités.

Il ne pourra y avoir d’issue sans intervention consciente, sur le terrain de la lutte de classe, du monde du travail, des exploités, de la jeunesse à qui la société ferme toutes les portes. Notre rôle est d’y aider en osant penser l’actualité de la révolution, son processus en développement, sans se bluffer sur l’état du rapport de force, sans auto-proclamation, mais en menant la bataille politique pour reconstruire une conscience de classe.

Nous voulons appeler les travailleurs, les jeunes, à prendre leurs affaires en main, en posant la nécessité d’un parti des travailleurs et des exploités afin que notre classe se prépare à postuler elle-même à la direction des affaires et de la société.

Bien plus que la continuité de Hollande et Sarkozy, une nouvelle étape de l'offensive du capital

Ce qui se passe ici s’inscrit dans des évolutions internationales qui voient l'offensive des classes capitalistes s’aggraver et se durcir. Les anciens personnels politiques de la bourgeoisie s’effondrent sous le poids de leur mensonge et de leur cynisme. Emerge un personnel politique tout aussi cynique qui assume sans fard l’idéologie libérale dite « moderne » en s'appuyant sur une dégradation des rapports de forces.

La victoire de Macron est ce « triomphe » de l’idéologie libérale sur fond d’abstention majeure, l’illusion de cette couche de personnels d’encadrement et autres « entrepreneurs » petits et grands subjugués par les charmes de l’économie de marché et qui, tant qu’à faire, préfèrent confier les rênes à un ami franc de la finance plutôt qu’à un Hollande la vilipendant pour mieux la servir.

Une note de conjoncture de l’Insee annonçait ce mardi que « l’embellie économique » se confirmerait en France et que la « croissance » devrait accélérer en 2017 pour atteindre 1,6 %, un niveau « inédit » depuis 2011. Une « relance » qui n’est que la relance des profits. La même note annonce que le chômage pourrait baisser de 0,6 % sur un an… mais aussi que les créations d’emplois passeraient de 255 000 l’an dernier à 222 000 et elle prévient : « du côté des ménages, la consommation devrait ralentir ».

Pour le monde du travail, leur relance, celle des profits, ce sont les annonces de plans sociaux (Michelin, BNP Paribas, Veolia, SFR, Yahoo…), une offensive brutale pour réduire les salaires, les pensions de retraite, les indemnités chômage, la couverture sociale et accroître l’exploitation, la précarité, intensifier et allonger le temps de travail. Une offensive économique combinée à l’offensive idéologique pour assujettir le monde du travail et soumettre ses organisations syndicales dont la plupart se prêtent si bien au « dialogue social »... Au nom de la « guerre contre le terrorisme », l’état d’urgence va être prolongé et son contenu transféré dans la loi, donnant des pouvoirs spéciaux aux préfets pour surveiller, encadrer et réprimer les travailleurs, la jeunesse, les classes populaires, la population d’origine immigrée, alors que le budget militaire devrait représenter 2 % du PIB en réponse aux exigences de Trump.

Il n’est plus possible aujourd’hui à la bourgeoisie de se masquer derrière quelque discours démocrate ou social. L’offensive est directe, assumée. Et la classe capitaliste fait confiance à Macron pour faire le job. Combien de temps l’affaire sera viable ? Personne ne peut dire mais si on n’en connaît pas le délai, une hypothèse est écrite dans la logique de la situation, à laquelle se prépare la bourgeoisie et une partie du personnel politique, celle d’une dégradation brutale de la situation économique mondiale qui hypothèquera toute solution à la Macron.

Droite extrême et extrême droite, luttes de pouvoir et programme politique pour la bourgeoisie

C’est à cela que cherche à se préparer le Front national et ses différentes factions, ainsi que des bouts de la droite en pleine recomposition, en gérant la crise provoquée par les ambitions rivales déçues. De toute évidence leur heure n’est pas encore venue : pour la bourgeoisie, Macron s'avère aujourd’hui la solution la plus adaptée. Mais il est sûr que si la situation se tend, à plus ou moins longue échéance, les classes dominantes auront besoin d’un parti de droite extrême ou d’extrême droite capable de mettre au pas la classe ouvrière et de museler encore plus la démocratie contre ses organisations. C'est à préparer cette alternance à venir que vont s'employer le FN mais aussi une partie des LR et la droite extrême. Bien difficile de dire qui en prendra la direction mais vu l’abondance de personnel politique cherchant à se recycler, il ne manquera pas de postulants. Et les désaccords sur le programme, présentés aujourd’hui comme inconciliables telle l’attitude à avoir face à l’Euro, se résorberont probablement rapidement pour répondre aux besoins des classes dominantes.

La réponse à cette menace que nourrira la politique de Macron et l’intensification de la crise n'est pas dans on ne sait quel jeu parlementaire mais bien dans la lutte entre le capital et le travail qui porte en germe une autre hypothèse, celle de l’intervention de notre classe sur le terrain social et politique, posant la question du pouvoir et du contrôle de l'économie.

Impasse du nouveau réformisme et du populisme dit de gauche

Les vieux partis issus du mouvement ouvrier se sont effondrés. Leur longue histoire depuis l’OPA de Mitterrand sur les partis issus du mouvement ouvrier au début des années 70, d’abord au sein du PS puis avec le PCF dans « l’union de la gauche », est arrivée à son terme. Le PS s’est brutalement désintégré au bout de longs services rendus, passant des quasi-pleins pouvoirs à tous les échelons de l’Etat à… une grosse vingtaine de députés qui devraient faire un groupe « ni dans l’obstruction ni dans la robotisation ». La ruine est totale, dans tous les sens du terme.

Le PCF, satellite du PS depuis le « programme commun » en 1972 et les participations au gouvernement en 1981 et 1997, jouant de son influence au sein de la fraction la plus combattive du mouvement ouvrier pour se mettre au service de l’offensive libérale, a été emporté par le même mouvement. Il vient miraculeusement de sauver 10 élus sous ses propres couleurs, 11 avec Buffet, rentrée au bercail après avoir été soutenue par Mélenchon, la FI, le PG, Ensemble et le PCF. Il constituera un groupe avec les députés ultramarins et sauve bon an mal an un appareil, mais il est défait, vidé de ses militants qui pour certains ont rejoint FI alors que beaucoup d’autres se replient sur la lutte syndicale ou ne sont nulle part.

Mélenchon s’est lui-même dépensé pour accélérer la déroute du PCF, utilisant sans vergogne ses militants ouvriers, son influence dans les classes populaires, son appareil, ses élus… pour mieux le dépouiller, prendre sa direction à son propre piège de recherche d’alliances pour sauver ses élus. Mélenchon a ainsi réussi son pari, doubler le PC et le PS… mais sur leur ruine.

« La gauche est morte, vive la gauche » expliquait Autain le 14 juin à Médiapart, précisant être « favorable à un dépassement d’Ensemble! » : « si La France insoumise devient un mouvement pérenne, c’est une question légitime de savoir si on veut y entrer »…

Le 20 juin, un communiqué d’Ensemble! appelait à : « retrouver le chemin du rassemblement et de l’unité, construire dans tout le pays un large front populaire, social et politique, des associations, syndicats et forces de gauche et écologistes en opposition radicale à la majorité gouvernementale. Cela commence par le rassemblement de nos forces à l’assemblée dans un groupe commun »… Ce sera donc sous le panache tricolore de Mélenchon, qui avait clarifié les choses dimanche : « Le peuple français dispose à l’Assemblée d’un groupe France Insoumise cohérent, discipliné, offensif [...] avec tous ceux qui veulent le rejoindre et qui sont les bienvenus [...] C’est lui qui appellera le pays le moment venu à une résistance sociale »…

Mardi devant le Parlement, se disant « pétri de religion républicaine », il précisait : « on va faire le pari de la raison. On va commencer par se dire qu’on peut les convaincre ». Dimanche il avait expliqué que face au « coup d’Etat social en préparation », il allait demander à Macron qu’il utilise « la voie la plus démocratique en son pouvoir : que le peuple français soit consulté par référendum »…

Mélenchon prend la pose radicale, promet l’affrontement, mais d’abord sur les bancs de l’Assemblée. Il se réclame de Jaurès, prétend en toute modestie être « la suite de cette histoire-là qui recommence »... et s’en va flatter les préjugés nationalistes s’esclaffant à propos du drapeau européen présent à l’Assemblée nationale : « Franchement, on est obligés de supporter ça ? C'est la république française ici ! »…

« La gauche est morte », c’est un fait, et avec elle l’illusion d’une opposition gauche-droite. Une situation qui révolte des militants « à la gauche de la gauche », révolte impuissante s’il en est, qui prépare des lendemains douloureux. Mélenchon, lui, a substitué « le peuple » et « la France » prétendument « insoumise » à la gauche… là où seules deux forces s’affrontent : le capital et le travail.

Faire vivre les acquis de la campagne du NPA et de Lutte Ouvrière

La majorité de la direction du NPA est elle-même pour une part désemparée par la situation et par ses propres ambigüités. Philippe Poutou est parvenu à « crever l’écran » en se situant sur un terrain de classe, en parlant la voix de la colère du monde du travail, des exploités et de tous ceux révoltés par l’injustice et l’oppression, comme a aussi réussi à le faire, différemment, Nathalie Artaud. Un sentiment de fierté a été partagé par des centaines de milliers de travailleurs, de jeunes. Et pourtant, le NPA n’a pas été en mesure de prolonger la courbe, il ne s’est pas donné les moyens de continuer à porter cette révolte dans la suite de la séquence électorale. Alors que nous avions ensemble décidé de présenter une centaine de candidat-e-s, il y en a eu seulement 27, ce qui nous a privés de toute apparition nationale, de la campagne médiatique et… de cohérence. De ce point de vue, les résultats de LO certes très modestes eux aussi, mais supérieurs à ceux de 2012 et parfois supérieurs à ceux du NPA quand nous étions tous les deux présents, sanctionnent la cohérence de leur campagne présidentielle et législative.

Cette réticence à se donner les moyens d’occuper le terrain a pris du sens avec le choix fait par la majorité d’appeler à voter partout FI ou PCF au deuxième tour des législatives après avoir combattu l'appel à voter Lutte ouvrière là où le NPA n'était pas présent au 1er tour. Une politique qui tourne le dos à ce que nous avons porté à la présidentielle.

Dans le dernier numéro de l’hebdo du NPA, Christine Poupin conclut son article en forme d’appel : « Ensemble, syndicalistes, militantEs politiques, défenseurEs des droits démocratiques, militantEs du climat, antiracistes et féministes... nous devons débattre des moyens de reprendre l’offensive, en construisant et coordonnant nos mobilisations, mais aussi en proposant, à partir de nos luttes le projet d'une société débarrassée du capitalisme, du productivisme, de l'exploitation et de toutes les oppressions. C'est ce que nous proposons de débattre ensemble au plus vite, notamment par des rencontres et réunions unitaires ». Mais à qui s’adresse cet appel à débattre « aussi » d’un « projet d’une société débarrassée du capitalisme », à quelles organisations dont ce serait le programme propose-t-il « rencontres et réunions unitaires » ?

Chacun voit que l’ambigüité paralyse, que la clarification est urgente. Vers qui regardons-nous ? Entre l’impasse d’un « nouveau » réformisme et la construction d’un parti des travailleurs posant la perspective de la révolution, il n’y a pas d’autre voie, d’autre politique possible… Il est urgent d’assumer ce que nous sommes et la continuité de la présidentielle avec Philippe Poutou, à partir des acquis de la campagne de l'ensemble de l'extrême-gauche.

Il ne s’agit pas de se bluffer, la pression sociale et politique est très forte, la classe ouvrière peu organisée. Le bilan des trente dernières années, l’effondrement des vieux partis et en particulier du PC, la perte de repères de classe et la montée des préjugés souverainistes pèsent lourd dans la situation. Les bases existent pour reconstruire : la révolte et le profond désaveu du système qui se sont exprimés dans l’abstention record en témoignent, mais de là à une prise de conscience et de confiance de classe, rien ne sera automatique.

D’autant qu’on assiste à une tendance au repli de militants politiques sur l’activité syndicale, espérant trouver un raccourci dans un syndicalisme radical. Mais cela ne peut se substituer à la construction d’un parti des travailleurs. Défendre une politique d’indépendance de classe, lutter contre le dialogue social, créer les conditions pour l’auto-organisation des travailleurs et leur contrôle sur leurs propres luttes est politique. Il ne s'agit pas seulement de dénoncer ou critiquer le capitalisme, de résister à l’offensive, mais bien d'inscrire toute notre politique dans une perspective de transformation révolutionnaire de la société en partant de la réalité de la lutte de classe.

Nous construisons le NPA comme instrument de rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires, de toutes celles et ceux qui se sont reconnus dans les idées défendues par Philippe Poutou et Nathalie Arthaud, toutes celles et ceux qui rompent avec FI et le PC, les jeunes et parfois moins jeunes qui se tournent vers la contestation sociale et politique.

Isabelle Ufferte

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