« Attac, Oxfam, Greenpeace, la Confédération paysanne et la CGT présentent 34 mesures communes pour répondre à la crise née du Covid-19. Du NPA au PS, en passant par les Verts et La France insoumise, on s’intéresse de près à cette démarche ‘historique’ », pouvait-on lire dans un article publié sur Médiapart, en date du 26 mai, intitulé « De la CGT à Greenpeace, la société civile bouscule la gauche ». Certes, la démarche, initiée dans la foulée de l’appel des 18, « Plus jamais ça », est inédite dans sa forme mais le fond, lui, est dans la continuité de la politique de la gauche institutionnelle, syndicale et politique.

Cette initiative participe de l’agitation, accélérée par la crise sanitaire, qui gagne cette gauche à la recherche de son unité perdue et d’un programme introuvable pour tenter de profiter de l’effondrement annoncé d’un pouvoir de plus en plus discrédité, divisé au point de perdre sa majorité parlementaire.

Après avoir évoqué cette agitation, Pauline Graulle, auteure de l’article, pose la question : « Et bientôt, un programme commun pour 2022 ? » La question vient inévitablement à l’esprit même si il est bien difficile de savoir si « une étape décisive » a été ou non franchie vers « la construction d’un nouveau bloc écologiste et social ». La crise sanitaire pas plus que la crise politique en cours ne suffiront à la gauche pour se reconstruire, c’est-à-dire se défaire d’un passé de reniements, de capitulations et de défaites sans même parler des ambitions rivales qui demeurent un de ses principaux moteurs. La perspective de la présidentielle de 2022 ne peut que les attiser à l’image des rivalités qui s’expriment déjà, sans gêne ni tabou, au sein de LFI contre Jean-Luc Mélenchon quand François Ruffin, invité de BFMTV-RMC, déclare « Je laisse la porte ouverte à ce qui peut se passer dans le pays [... ] Et si jamais, c’est moi qui doit ramasser le drapeau, j’irai ramasser le drapeau. » En écho, JLM tente de faire bonne figure : « Je n’ai pas la vanité de me croire éternel […] Je leur dis à tous, soyez comme lui : si jamais le drapeau venait à tomber à terre, vous devriez le relever et avec lui l’énergie de l’insoumission. » Apparemment, il ne manque pas de postulants !

Difficile de voir dans cette agitation une perspective pour les classes populaires et la jeunesse. Le « Plan de sortie de crise »1 rendu public le 26 mai autour duquel se retrouvent 20 associations et syndicats, les 34 mesures qu’il propose, loin de rompre avec le cadre institutionnel et la vieille gauche parlementaire en reste prisonnier.

Un plan institutionnel ou un plan pour le contrôle des travailleurs

Les propositions veulent répondre aux besoins du monde du travail, des femmes et de la jeunesse mais elles sont autant de déclarations de bonnes intentions vouées à rester sans effet à partir du moment où elles restent dans le cadre institutionnel sans rompre avec le capitalisme, sa logique de profit et de libre concurrence.

La gratuité des masques, le recrutement de 100 000 professionnels dans les hôpitaux, la régularisation des sans-papiers ou un plan contre les violences faites aux femmes, l’augmentation des salaires, l’instauration de la semaine de quatre jours, l’arrêt des expulsions locatives, l’annulation de la dette des pays, la sortie totale de l’énergie carbonée d’ici 2030, la restauration d’un ISF élargi, etc., voudraient s’inscrire dans une perspective de changement radical. Mais en fait elles sont vouées à l’impuissance si la démarche d’ensemble ne remet pas en cause la propriété privée financière, capitaliste. Elles se limitent à remettre en cause ce qu’il est convenu d’appeler les politiques néolibérales comme si les choix des classes dominantes étaient des questions d’idéologie et non de défense d’intérêts de classe guidée par leur lutte pour l’appropriation des richesses.

Ce plan vise à donner un contenu au mouvement social contraint par l’ampleur de l’incurie de la bourgeoise financière et de son État à formuler des réponses politiques. Bien plus que d’offrir un programme aux mobilisations, il offre à l’ensemble de la gauche sociale et politique une possibilité d’initier un rassemblement en prétendant tracer une perspective au mécontentement et à la colère tentant d’éviter les réactions de rejet à l’égard des forces politiques.

« Ce document se veut donc une contribution et même un appel au débat public. Débattons partout, mobilisons-nous sur le terrain pour changer le système et exiger des pouvoirs publics des transformations radicales ! » écrivent les initiateurs de la démarche. Exiger des pouvoirs publics ! Exiger d’un État rodé depuis des décennies à servir les intérêts des classes dominantes qu’il se mette au service des classes populaires. Entretenir de telles illusions n’est pas neutre et rentre en résonance avec la politique dont la gauche se revendique encore aujourd’hui comme d’un jour de gloire, « Les jours heureux », le programme du Conseil national de la résistance, en écho aux propos de Macron enfilant les habits du général !

Et toute la gauche institutionnelle a su se faire inviter. Le mercredi 20 mai, une première réunion s’est tenue dans le cadre initié par « Plus jamais ça, préparons le jour d’après », discussions exploratoires autour de différents thèmes ou perspectives d’action, la question de la gratuité des masques, la lutte contre les licenciements... Mais il est clair que l’enjeu est de fournir à la gauche un cadre de discussion dégagé des contraintes immédiates des négociations entre partis et des ambitions rivales, ou du moins d’éviter que ces tractations-rivalités ne soient par trop visibles ou explosives... Le Plan de sortie de crise se veut la base de ces discussions, négociations…

Une nouvelle réunion aura lieu début juin. Notre propos n’est pas de juger de l’avenir de l’entreprise mais plutôt de discuter de l’impasse qu’elle représente du point de vue des intérêts des classes populaires. Elle prétend sortir de la crise sans en finir avec le capitalisme, une impasse assurée même si elle… réussissait. Sa réussite, bien improbable, ne servirait comme le fit l’union nationale élaborée par De Gaulle avec l’appui du PS et du PC ou celle de Mitterrand prétendant « rompre avec le capitalisme », qu’à sortir leur système de sa crise.

Débattre pour construire un mouvement pour le contrôle des travailleurs sur l’économie et l’État

Les révolutionnaires ne s’inscrivent pas dans cette démarche quelles que puissent être les intentions des diverses composantes qui l’animent. Elle a ceci dit le mérite de poser les termes d’un changement de politique, de se dire ouverte à la discussion et de vouloir rassembler, s’appuyer sur les mobilisations en cours et les prises de conscience provoquées par l’incurie des classes dirigeantes, leur faillite ainsi que la catastrophe économique et sociale annoncée.

Il est bien dommage que le mouvement révolutionnaire soit incapable d’initier sur de toutes autres bases politiques visant non à sortir le système de sa crise mais à renverser le système, une démarche ouverte, démocratique, s’adressant au plus large milieu ouvrier, populaire, jeune, à toutes celles et ceux qui depuis 2016 se mobilisent, luttent, s’organisent. Et laisse ainsi l’initiative à la vieille gauche parlementaire à laquelle l’écologie sert d’eau de jouvence.

Il serait contraire aux intérêts des mobilisations et des luttes, y compris dans leurs limites actuelles, de laisser croire que le cadre de Plus jamais ça puisse être un instrument pour construire le nécessaire affrontement avec le gouvernement et « les pouvoir publics ».

La pandémie n’est pas la cause de « la crise ». Elle-même est la conséquence des déséquilibres écologiques entre la société humaine et son environnent de même que c’est la politique des classes dominantes contre le monde du travail qui est responsable de la crise sanitaire. Et aujourd’hui, c’est la logique capitaliste qui veut que l’on ne produise que pour faire du profit, accumuler de nouveaux capitaux, qui engendre la terrible crise économique et sociale en cours. Plus qu’une crise, car c’est bien de la faillite d’une classe dont il s’agit !

Le soulèvement populaire qui ébranle aujourd’hui la citadelle du capital, les USA, en réponse à un crime policier raciste, violence barbare de classe qui vise tous les exploités, en est la conséquence, l’expression et participe de l’affrontement inévitable.

Face à cette débâcle d’une ampleur inédite, le mouvement ouvrier a besoin de faire du neuf, de sortir des chemins des échecs et défaites passés, des mensonges et des reniements de la gauche sociale-démocrate ou stalinienne et de ses scories. Il a besoin de se donner un plan démocratique et révolutionnaire pour mettre en œuvre la seule politique qui puisse répondre aux besoins de la population, la prise en main du contrôle de la production, des échanges par ses acteurs mêmes, les travailleur.e.s, pour en finir avec la domination d’une oligarchie financière parasite et un système destructeur. Une politique qui ne vise pas à défendre l’industrie nationale mais à réorganiser la production par-delà les frontières dans une perspective de coopération internationaliste en fonction des besoins des populations.

Il n’y aura pas de « sortie de crise » sans démocratie, c’est-à-dire sans intervention directe du monde du travail pour contrôler, décider, diriger la marche de la société, et si l’on craint de se battre pour la transformation révolutionnaire de la société, le socialisme, le communisme.

C’est à l’élaboration collective et à la discussion publique d’un tel plan que les différentes composantes du mouvement anticapitaliste et révolutionnaire devraient s’atteler.

Yvan Lemaitre

 

1https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/plus-jamais-ca-34-mesures-pour-un-plan-de-sortie-de-crise

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