Depuis une quinzaine de jours, une fraction de la jeunesse lycéenne et étudiante conteste la réforme du bac et de l’accès à l’Université. En fonction des villes, quelques centaines ou milliers de jeunes ont participé aux Assemblées générales dans les facs, des lycées, et manifesté, en particulier les 1er et 6 février. Derrière des banderoles « Non au tri sélectif de la jeunesse », « L’éducation n’est pas une marchandise, l’école n’est pas une entreprise », « Tu veux vraiment te battre ? Souviens-toi il y a 50 ans, mai 1968-mai 2018 »… c’est bien plus qu’une réforme qui est contesté.

La jeunesse, qui était à l’origine et avait donné sa dynamique au mouvement contre la loi El Khomri, reprend l’initiative. Au-delà des lycéens et des étudiants, le mouvement touche aujourd’hui des enseignants dont les syndicats ont appelé aux journées d’action, et il fait écho chez les travailleurs, dans les familles. Même si la mobilisation n’en est qu’à ses débuts et s’il est difficile de dire quels en seront les développements, ce mouvement change le climat. Au-delà de l’opposition à la régression sociale et démocratique que constituent ces réformes, le mouvement exprime la révolte profonde d’une large fraction de la jeunesse contre un monde de plus en plus insupportable.

Une révolte qui fait écho à celle des travailleurs engagés dans de multiples luttes et d’équipes militantes qui trouvent les moyens de passer outre l’inertie des directions syndicales. C’est le cas des grèves, pour le moment éparpillées, qui se succèdent dans les hôpitaux où les restrictions budgétaires et les années de casse du service public de santé ont de lourdes conséquences pour les personnels comme pour les usagers. Ou encore dans de nombreux secteurs où les travailleuses et travailleurs sont isolé-e-s, peu organisé-e-s et souvent précaires, tels celles et ceux du nettoyage (Holidays Inn, Onet…), des Ehpads et maisons de retraite, du secteur social et associatif, du commerce… Le plan du groupe Carrefour de 4 500 « suppressions d’emplois » et 273 fermetures de magasins alors qu’il réalise un milliard de profits par an et a touché 2 milliards d’exonération de cotisations sociales en 5 ans (intégralement reversés en dividendes aux actionnaires) illustre la brutalité de l’exploitation, de la dictature du profit.

Les inégalités explosent dans le monde entier, l’exploitation des travailleur-se-s n’a jamais été aussi grande, proportionnelle à l’extrême richesse que s’approprie une ultra minorité. Alors que la spéculation atteint des sommets, les bourses ont dévissé cette semaine, expression de l’instabilité d’un système en permanence au bord de la faillite et du krach qui menace l’ensemble de la société. Face à cette fuite en avant destructrice, les luttes de la jeunesse et du monde du travail portent, d’un bout à l’autre de la planète, la seule perspective d’une autre issue.

Oxfam, paupérisation et profits

« L'économie européenne dans une forme resplendissante » titrait Les Echos le 7 février, se félicitant d’une « croissance » de 2,4 % dans la zone euro en 2017 (1,8 % en France), le meilleur chiffre des dix dernières années. Et Moscovici de prévenir : sa pérennité nécessite des « réformes structurelles intelligentes et des politiques budgétaires responsables »… Car cette « croissance », c’est celle des profits et de quelques fortunes qui trouve sa source dans la paupérisation du plus grand nombre.

Le récent rapport de l’Oxfam éclaire le cynisme des discours officiels : dans le monde, « le nombre de milliardaires a connu l'année dernière sa plus forte hausse de l'histoire, avec un nouveau milliardaire tous les deux jours. Leur richesse a augmenté de 762 milliards de dollars en douze mois […] sept fois le montant qui permettrait de mettre fin à la pauvreté extrême dans le monde. 82 % des richesses créées l'année dernière ont bénéficié aux 1% les plus riches, alors que la situation n'a pas évolué pour les 50 % les plus pauvres. »

En France, les chiffres sont tout aussi révoltants : « L'an dernier, les 10 % des Français les plus riches détenaient plus de la moitié des richesses alors que les 50 % les plus pauvres se partageaient à peine 5 % du gâteau […] Tout en haut de la pyramide, le 1 % des ultra-riches détenait 22 % de la richesse contre 17 % en 2007 ». En vingt ans, la fortune des dix français les plus riches a été multipliée par 12 et… 1,2 million de personnes sont passées en-dessous du seuil de pauvreté.

« Les travailleuses et travailleurs pauvres s'échinent sur des tâches dangereuses et mal rémunérées pour alimenter l'extrême richesse d'une minorité » continue l’Oxfam… « S’échinent » avant d’être licencié-e-s par milliers comme à PSA ou Carrefour tandis que la SNCF supprime plus de 2000 emplois en 2018, que les hôpitaux « restructurent » et que le gouvernement envisage le licenciement de fonctionnaires…

Davos, bal de vampires… inquiets

L’ensemble de ces annonces sont tombées au moment même où se tenait à Davos, fin janvier, le grand cirque annuel de « l'élite des décideurs mondiaux ». Si on en croit Les Echos, Macron y a été accueilli « comme une rock star par une salle comble ». Alors que nombre de pays font face à des crises politiques plus ou moins aigues, telle l’Allemagne restée 4 mois sans gouvernement avant qu’un accord CDU-SPD se fasse in extremis, Macron apparait comme celui qui, prétendant faire la synthèse sur les ruines du PS et de LR, a réussi à imposer des reculs majeurs sans provoquer de mouvement d’ampleur… pour l’instant. De quoi « séduire » tout ce petit monde, devant lequel il a conseillé de « renoncer à l'optimisation fiscale à tout crin », plaidant pour un « nouveau contrat mondial », mettant en garde, sans rire, contre une mondialisation qui « tire le monde vers le bas », car sinon « les extrémismes gagneront dans 10 ou 15 ans dans tous les pays »… Le cynisme le dispute à l’impuissance.

Le lendemain, La Tribune titrait : « L’optimisme règne à Davos, faut-il s’inquiéter ? » tandis que Les Echos citaient la patronne d’un fonds d’investissement de la banque JP Morgan : « L'inquiétude que j'ai le plus souvent entendue ces derniers jours à Davos, c'était le fait qu'il n'y avait pas assez d'inquiétudes »…

C’est que si les profits atteignent des sommets inégalés, les contradictions accumulées au cours des années de prétendue « sortie de crise » sont sur le point d’exploser de nouveau.

Le spectre du krach…

La première de ces menaces est celle d’une nouvelle crise financière majeure, un krach dont la brutale chute des Bourses mondiales, dans le sillage de New-York ce début de semaine, est un des signes avant coureurs. Une alerte bien réelle, produit d’une accumulation sans précédent de bulles spéculatives, alors que le niveau d’endettement accumulé par les ménages, les entreprises, les Etats et les banques dépasse de loin les niveaux de 2007-2008.

A cela s’ajoutent l’instabilité géopolitique, résultat d’une concurrence exacerbée pour le contrôle des marchés, des ressources naturelles, des voies de circulation des marchandises ; les dérèglements climatiques dont les conséquences commencent aussi à perturber le « bon déroulement des affaires », même si le capitalisme dit « vert » y trouve de nouvelles perspectives de profits.

Ce que craignent l’oligarchie financière et les gouvernements, c’est la révolte sociale qui naît des conditions de plus en plus insupportables faites aux travailleurs et aux peuples, poussés à affronter les pouvoirs établis.

… et de la révolte sociale porteuse de la perspective d’un autre monde

Cette révolte s’exprime sur tous les continents autour de l’exigence de droits sociaux, économiques et démocratiques. La lutte pour une vie digne, pour les salaires, pour l’accès à la santé, à l’éducation, contre les inégalités, les discriminations, les obscurantismes, a une dimension internationale.

En Tunisie, en Iran, en Algérie où les grèves se multiplient, ou encore au Tchad où le secteur privé a rejoint les fonctionnaires le 5 février dernier pour une journée de grève générale contre l’austérité massivement suivie, des exigences communes s’expriment face aux gouvernements et aux financiers.

Ces mobilisations sociales, les ressources qu’elles trouvent en elles pour s’organiser, braver les interdits, affronter la répression, constituent les seules forces capables de répondre à l’urgence d’une riposte face à la faillite du capitalisme, sont seules porteuses de la perspective d’un monde débarrassé de l’exploitation.

Ici, la mobilisation naissante de la jeunesse donne une nouvelle dynamique à la contestation sociale. Des équipes militantes, soucieuses de faire converger les colères et de maintenir et renforcer les liens construits lors des mouvements passés ou au sein des syndicats, des UL..., relaient les différentes initiatives locales ou sectorielles.

Sentant lui aussi le climat, le comité confédéral national (CCN) de la CGT vient, le 7 février, de publier une « adresse » aux syndiqués intitulée « Et si on y allait tous ensemble ? »… proposant « face au mécontentement généralisé » et « sans globaliser les problèmes » une journée d’action interprofessionnelle dans les prochaines semaines. D’ores et déjà le 22 mars prochain, l’intersyndicale des fonctionnaires appelle à une journée nationale de grève. Par delà le calendrier des confédérations syndicales, engluées dans les relations institutionnelles et le dialogue social mais bien obligées de donner un minimum le change, la jeunesse et les militants du mouvement qui ne craignent pas l’affrontement peuvent donner un tout autre contenu aux diverses échéances, faisant de ces dates autant d’étapes vers un mouvement d’ensemble.

Isabelle Ufferte, Daniel Minvielle

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